No. 56/2    juin 2003

 

Une pièce «bien faite»

«Le Chalet» de Scribe et Adam

par François Buhler

 

C'est en hommage à Adolphe Charles Adam, dont nous fêtons cette année le bicentenaire de la naissance, qu'ont été données les 16, 17, 18, 22 et 23 mai 2003 au Temple de Saint-Blaise (NE), dans le cadre de «Musique au choeur», la nouvelle saison de concerts qui vient d'y être créée, cinq représentations de son opéra-comique en un acte «Le Chalet», dans une nouvelle orchestration de Venetziela Naydenova et une mise en scène d'Eddy Jaquet.

Créée le 25 septembre 1834 à l'Opéra-Comique, cette oeuvre dont l'action est située dans le canton d'Appenzell atteignit à Paris la 1000e représentation dès 1873 et fut jouée dans presque tous les pays à l'exception, semble-t-il, de celui dans lequel elle se passe. La musique, simple, fraîche et gaie, est l'une des meilleures partitions de son auteur et le livret, dû à Scribe (en collaboration avec Mélesville), sans aucun doute l'un des mieux construits et des plus efficaces qui soient sortis de sa plume. Il reprend, en l'adaptant aux règles de la pièce «bien faite», celui de Jery und Bätely, un singspiel que Goethe écrivit en 1779 et qui, entre temps, avait inspiré de nombreux compositeurs.

A l'issue de la première, Boieldieu, dont ce fut la dernière apparition en public, traça ces mots sur son ardoise: «Je voudrais que cette musique fût de moi. Merci, ami, de cette bonne soirée!» Halévy se laissa lui aussi subjuguer et déclara: «Le Chalet, dès son apparition, fut classé parmi les meilleurs ouvrages du genre [...] Il est resté le type du génie d'Ad. Adam.»

 

Le compositeur

Fils de Jean-Louis Adam, qui fut compositeur, auteur d'une méthode de piano au succès international et professeur au Conservatoire de Paris pendant quarante-cinq ans, Adolphe Charles Adam (1803-1856) décida très tôt de sa vocation de musicien de théâtre. C'est grâce à son amitié avec Hérold (alors élève de son père), plutôt qu'aux encouragements de ce dernier, qu'il entra en 1820 à l'âge de dix-sept ans au Conservatoire où, quelque vingt-neuf ans plus tard, en 1849, il devait enseigner la composition. Il y fut élève de Lemoine pour le piano, de Benoist pour l'orgue, de Reicha pour le contrepoint et surtout, de Boieldieu, qui fut son maître à penser, pour la composition. Il débuta comme instrumentiste dans l'orchestre du théâtre du Gymnase (où il devint ensuite chef de choeur), et en écrivant la musique de nombreux vaudevilles, genre alors à la mode. En 1824 il se présenta au prix de Rome et obtint une mention; l'année suivante, sa cantate Ariane à Naxos lui valut le second prix derrière Albert Guillon. En 1825 toujours, avec Labarre, un autre élève de Boieldieu, il aida ce dernier à écrire l'ouverture de La Dame blanche: le compte-rendu qu'il en laissa plus tard constitue un document précieux sur la manière dont on composait à l'époque, ainsi qu'un bel exemple de l'extraordinaire talent littéraire qu'il développa dans les colonnes du Constitutionnel et de l'Assemblée Nationale lorsque la faillite, à la Révolution, du Théâtre National qu'il venait de fonder en 1847, le contraignit à devenir critique musical pour rembourser ses dettes.

Adam écrivit plus de quatre-vingts ouvrages lyriques, des opéras-comiques pour la plupart, qui lui assurèrent la célébrité de son vivant et dont quelques-uns sont restés au répertoire (Le Chalet, 1834; Le Postillon de Longjumeau, 1836; La Rose de Péronne, 1840; Le Roi d'Yvetot, 1842; Le Toréador, 1849; Giralda, 1850; La Poupée de Nuremberg, 1852) et de nombreux ballets (Giselle, 1841; La Jolie Fille de Gand, 1842; Le Corsaire, 1856). Mais c'est à son (trop) fameux Noël (Minuit, chrétiens, 1847), encore chanté dans tous les foyers, qu'il doit de ne pas être aujourd'hui totalement tombé dans l'oubli.

Cet élève de Boieldieu, tout d'abord acquis à une musique harmonique et résolument tournée vers l'avenir, subit toujours plus fortement, mais non sans avoir manifesté quelques résistances, l'ascendant de son maître, qui le révéla à lui-même: «Adam, dont le talent naturel et gracieux avait dévié sous l'influence d'études mal commencées et mal dirigées, ne se plaisait alors qu'au milieu des modulations les plus obscures et les plus tourmentées. Boieldieu le dégagea du labyrinthe où il s'était égaré, et le ramena à la mélodie, qu'il avait méconnue. Il l'initia à son goût et à ses préférences. Il fut son maître, son guide et son ami.» Adam lui garda reconnaissance et fidélité toute sa vie. Ce «faiseur de contredanses», comme l'appela Berlioz, et qui déclara: «Je n'ai guère d'autre ambition, dans ma musique de théâtre, que de la faire claire, facile à comprendre, et amusante pour le public» fut pourtant un compositeur de talent, plein de verve rythmique, de charme et d'élégance mélodique, dont la musique, toujours agréable et plaisante, semble couler de source. Mais inégal, trop hâtif peut-être, vite satisfait, docile aux exigences du public, très conservateur, Adam confondit toute sa vie succès populaire et valeur esthétique dans le jugement qu'il porta sur sa propre musique et sur celle des compositeurs de son temps, en particulier de ceux qui lui furent supérieurs: il ne comprit ni celle de Liszt, ce «détestable compositeur», ni surtout celle de Berlioz contre lequel il multiplia dans sa correspondance les attaques les plus féroces; mais il parraina les débuts d'Hervé, apporta son soutien à Offenbach et encouragea son élève Delibes.

Le librettiste

Eugène Scribe, auteur principal du Chalet, est aussi le plus important librettiste français de la première moitié du XIXe siècle. Fils de commerçants, il délaisse le droit de très bonne heure pour le théâtre et, après avoir fait représenter aux Variétés sa première pièce dès 1810, se lance dans la comédie à couplets; bientôt, ses refrains courent tout Paris.

Travaillant seul ou, comme on disait alors, «en société» avec 70 autres collaborateurs, il fournira des livrets à la plupart des compositeurs de son temps: Gounod, Rossini, Cherubini, Donizetti, Meyerbeer, Boieldieu, Auber, Halévy, Adam, Hérold, Carafa, etc. Il écrivit par exemple 28 livrets pour Auber...

 

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