No. 57/1    mars 2004

 

Albert Carré et la rénovation de l'Opéra-Comique

par Philippe Blay

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                 Albert Carré

 

«La question de l'Opéra-Comique n'est pas close par la nomination de M. Albert Carré au poste de directeur; elle vient seulement de se poser et vient de donner lieu à d'interminables discussions entre compositeurs dans les colonnes du Figaro.»

Par ces mots, le Journal des débats informe ses lecteurs de la controverse dont fait l'objet la deuxième scène lyrique de Paris, au début de 1898, alors qu'Albert Carré vient de succéder à Léon Carvalho, décédé le 29 décembre précédent. En effet, dans le contexte de ce changement de direction, Le Figaro pense qu'il n'est pas «sans intérêt de s'informer près des musiciens dramatiques notables de Paris de leurs vues sur ce que doivent être les tendances de ce théâtre subventionné.» Il en ressort un panorama à la fois subjectif et symptomatique de l'état d'esprit des professionnels de la composition lyrique au moment d'un tournant dans l'histoire de l'institution Opéra-Comique, celui que va dessiner la forte personnalité du nouveau «patron».

L'avenir d'un théâtre fondé sur un genre

L'investigation du Figaro est menée par un spécialiste du reportage, Jules Huret, en charge de la chronique théâtrale depuis 1896. Il s'est rendu célèbre en publiant en feuilleton dans L'Echo de Paris, de mars à juillet 1891, une «Enquête sur l'évolution littéraire» menée auprès de soixante-quatre écrivains et conçue selon la démarche d'un journaliste et non d'un critique professionnel. Dans cette nouvelle enquête, il apparaît que la question de la pérennité du genre de l'opéra-comique occupe une place centrale. Doit-il être considéré comme obsolète dans les dernières années du XIXe siècle, comme le constate le Journal des débats?

«L'opéra-comique est un genre à peu près mort en France; tous les ouvrages représentés ces dernières années place du Châtelet visaient à la grande tragédie lyrique.»

Plusieurs années auparavant, le Grand dictionnaire universel de Pierre Larousse en donne déjà une définition suffisamment large pour englober une grande partie de la production lyrique de la fin du siècle:

«On désigne aujourd'hui sous le nom d'opéra-comique une composition dramatique appartenant au genre gai ou au genre sérieux, où des morceaux de musique d'une assez grande étendue se mêlent à un dialogue parlé.»

Le dictionnaire précise également que le terme d'opéra-comique sert dorénavant «à désigner des oeuvres où le comique ne joue souvent aucun rôle» et qu'il «est donc tout à fait impropre.»

Il est vrai que la production du temps n'a rien d'homogène. Une oeuvre comme Lakmé de Delibes (créée en 1883), avec ses séquences entièrement parlées, ses importants numéros musicaux, son intrigue tragique mais qui intègre le style léger (quintette du premier acte), semble correspondre assez bien à cette définition élargie. En revanche, L'Attaque du moulin de Bruneau (créée en 1893), entièrement chantée, inspirée d'une nouvelle naturaliste de Zola sur un épisode de la guerre de 1870, ne ressortit en rien d'une combinaison de la parole et du chant et s'oriente rapidement vers le style tragique.

Face à cette évolution en faveur du drame lyrique, plusieurs compositeurs sollicités par Huret prônent un retour aux sources, à la grâce et à l'harmonie des oeuvres du XVIIIe siècle. Théodore Dubois constate que «nous sommes trop enclins actuellement à la mélancolie» et que «l'Opéra-Comique, depuis longtemps, s'est éloigné sensiblement du genre qui lui valut autrefois ses plus brillants succès»; il doit donc «y revenir dans une certaine mesure et accueillir à bras ouverts la comédie lyrique et les ouvrages d'une gaieté spirituelle.» Alexandre Georges pense également que ce théâtre «doit être ce qu'il a toujours été, c'est-à-dire un théâtre de demi-caractère» et que «sans remonter bien loin, les auteurs joués sur ce théâtre se sont, presque toujours, conformés à ce genre.

Saint-Saëns, absent de Paris au moment du débat lancé par Le Figaro, rappelle dès le mois de mai 1898 que le mélange du chant et du dialogue parlé ne correspond en rien à «un genre faux et méprisable», mais à une nécessité physique (concentration limitée du spectateur) et dramatique (intrigues complexes de certaines pièces) qui a su engendrer de grandes oeuvres. Tout en reconnaissant que «cette forme de comédie alternativement parlée et chantée n'est pas spéciale à notre pays», il estime qu'elle correspond cependant a un type national de comique:

«La gaieté allemande s'épanouit dans les Maîtres chanteurs, comme le rire italien s'est esclaffé dans le monde entier avec l'opéra-bouffe; et la belle humeur française a engendré notre opéra comique.» ...

 

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