No. 57/2    juin 2004

 

Le Te Deum de Paul Benner

compositeur neuchâtelois

par François Buhler

rmsr

 

«Il ne faudrait pas que sa musique dorme à jamais dans les rayons
d'une bibliothèque, fût-elle “nationale”. Cette musique doit revivre!
C'est un appel pressant que nous aimerions lancer à nos chorales
et à nos chefs de choeur. L'oeuvre de Paul Benner a la solidité du
granit, la limpidité d'une eau claire. Cette oeuvre est belle, d'une
sincérité absolue: elle défiera les siècles et les modes.»

Samuel Ducommun.

 

Il y a un peu plus de cinquante ans, le 29 mars 1953, s'éteignait à Neuchâtel une de ses figures emblématiques, le compositeur Paul Benner, qui fut pendant toute la première moitié du siècle l'un des principaux artisans de la vie musicale de cette cité. Organiste au Temple du Bas, directeur de la Société chorale, qu'il mena à un degré de perfection remarquable, il fit aussi partie du corps enseignant de la première heure lors de la fondation du conservatoire de Neuchâtel: professeur d'harmonie, de contrepoint et de composition, il fit profiter des centaines d'élèves de ses dons de pédagogue. Beaucoup d'entre eux, ainsi que plusieurs de ses collègues ont d'ailleurs laissé de lui un portrait flatteur et reconnaissant: citons en premier lieu son disciple le plus fervent, le compositeur, organiste et pédagogue Samuel Ducommun qui tenta à maintes reprises de redonner vie à sa musique; puis Georges Humbert, premier directeur du conservatoire de Neuchâtel; le ténor Ernest Bauer, successeur de Georges Humbert à la tête du conservatoire; le baryton Pierre Mollet; le compositeur René Gerber, qui fut lui aussi directeur du conservatoire; l'organiste André Luy; le violoniste, chef d'orchestre et compositeur Georges-Louis Pantillon et le pianiste Louis de Marval.

L'année même de sa mort, unissant leurs efforts, la romancière Dorette Berthoud, fille du prédécesseur de Benner à la tête de la Société chorale, et Samuel Ducommun firent à cet homme aussi modeste que talentueux l'hommage d'un livre qui n'empêcha cependant pas son oeuvre de tomber presque aussitôt dans l'oubli le plus complet. Reprenant la lutte en 1973, vingt ans après le décès du compositeur, Samuel Ducommun écrivit dans les colonnes de L'Express, le journal local: «L'oeuvre que Paul Benner nous a laissée est belle, elle est lumineuse, elle est pure. Cette oeuvre [...] ne peut pas, ne doit pas disparaître car elle est nécessaire. Plus que jamais, aujourd'hui nous avons besoin d'un art qui, jailli du coeur, aille au coeur. [...] Entendrons-nous bientôt les accents mystiques ou passionnés de la Messe ou du Te Deum?»

Le souhait formulé en 1973 par Samuel Ducommun ne fut guère entendu mais une renaissance, timide encore, s'est amorcée à l'occasion du cinquantenaire de sa mort: le 1er mars 2003 (soit le jour de la Révolution neuchâteloise), Espace 2 diffusait deux oeuvres de Paul Benner, Nox et De la harpe aux cymbales. Puis, le 25 mai, en réponse aux sollicitations d'Evelyn Gasser-Clerc, l'actuelle archiviste de la Société chorale de Neuchâtel, qui se dépense sans compter depuis des années pour faire revivre cette musique, le Konzertchor Biel-Seeland dirigé par Thomas Kuster fit entendre au Palais des Congrès le Sanctus de la Messe en ré mineur. Enfin, les 3 et 4 avril 2004, la Société chorale et l'Orchestre symphonique neuchâtelois, sous la baguette de Gilbert Bezençon, ont donné sa dernière oeuvre, le Te Deum «en reconnaissance envers Dieu le Tout-Puissant qui nous a conservé notre patrie» qu'il écrivit pour célébrer l'armistice de la seconde guerre mondiale et qui fut en effet exécuté le 25 mars 1945, puis à nouveau le 8 mai au Temple du Bas à Neuchâtel devant une foule si dense que des haut-parleurs avaient dû être installés dans la rue aux abords du temple pour tous ceux qui n'avaient pu trouver place à l'intérieur.

Issu d'une cellule formée d'une quinte et de son renversement, la quarte, le Te Deum de Paul Benner est une oeuvre remarquable qui se développe petit à petit selon le principe de l'identité entre l'écriture horizontale et verticale, soit selon une technique qui rappelle aussi bien les origines de la polyphonie que l'ère nouvelle que ce procédé ouvrit à la fin du XIXe siècle sans rompre avec la tradition. Compte tenu des convictions religieuses du compositeur, il est permis de se demander si celui-ci n'utilisa pas volontairement cette technique pour évoquer la fin de la guerre et exprimer sa foi en l'avenir, pour peindre, comme une nouvelle genèse, la lente et patiente reconstruction d'un monde en ruines et le retour de l'ordre succédant au chaos. Aimé, admiré, respecté, Benner était pourtant déjà sous le feu de la critique; on lui reprochait son style qui appartenait, disait-on, à une époque révolue. Il tenta de le réformer dans cette oeuvre sans renoncer à ses principes d'avant-guerre, dans la continuité, en donnant à l'accord de quinte sans tierce qu'il aimait à utiliser l'extension mélodique et contrapuntique décrite ci-dessus. Mais cela ne suffit pas; malgré le succès qu'il remporta, l'admiration et le respect dont il jouissait, ce Te Deum qui devait célébrer l'apparition d'une ère nouvelle marqua la fin de sa carrière. Ce fut son oeuvre ultime, celle qui, chez tous les artistes, est presque toujours sinon la plus réussie, du moins la plus riche, la plus intéressante, la plus bouleversante parfois aussi, comme les admirables et terrifiants Gesänge der Frühe de Schumann, parce qu'elle relie des époques différentes, résume le vécu, constitue l'aboutissement des promesses de l'enfance et porte la marque des efforts, des recherches, des découvertes, du bonheur ou du malheur de toute une vie. Peut-être décida-t-il alors que sa tâche était remplie et que son heure avait sonné; la critique, en tout cas, le lui fit clairement comprendre. Il cessa d'écrire et son oeuvre, jugée désuète, disparut avec lui. Il faut savoir gré aux organisateurs du concert des 3 et 4 avril de nous avoir enfin donné la possibilité de réviser ce jugement et d'avoir choisi dans ce but l'oeuvre qui, par son message autant que par sa beauté intrinsèque, avait le plus de chances d'y parvenir...

 

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