No. 57/2    juin 2004

 

Jacques Chailley

et l'évolution du langage musical
selon le tableau des harmoniques

par Serge Gut

 

Parmi les nombreuses recherches musicologiques de Jacques Chailley (1910-1999), celles concernant ce qu'il aimait appeler la philologie musicale comptent parmi les plus originales et furent sans doute celles qui lui tenaient le plus à coeur. Ce vaste champ d'études peut, en simplifiant, se subdiviser en deux grandes sections, celle concernant la mélodie, et celle concernant l'harmonie. C'est de cette dernière qu'il sera question ici.

La grande originalité de Jacques Chailley dans ce domaine fut non seulement d'expliquer l'évolution du langage harmonique par rapport à la succession des harmoniques, mais aussi d'en systématiser la théorie et de la rendre convaincante grâce à une argumentation brillante et des connaissances historiques approfondies.

Pour mieux situer l'apport du musicologue, un bref rappel historique paraît indispensable. Déjà Rameau avait fait intervenir la résonance du corps sonore dans sa Génération harmonique de 1737 pour expliquer le bien-fondé de l'accord parfait majeur. En 1802, Catel, dans son Traité d'harmonie, obtint un succès considérable en affirmant que tous les accords découlent d'un seul accord de neuvième qui est produit par les neuf premiers harmoniques. Mais pas plus chez lui que chez Rameau et d'autres, il n'y a une notion de progression chronologique. Il faut attendre, semble-t-il, le début du XXe siècle, pour voir celle-ci apparaître. A ma connaissance, c'est chez Jean Marnold qu'elle surgit pour la première fois avec une surprenante précision. En effet, celui-ci nous dit, dans sa communication du 12 février 1908: «En cherchant [...] comment les intervalles [...] se sont succédé dans l'évolution musicale en tant que perceptions conscientes et ressources consciemment exploitées, on trouve qu'ils ont apparu dans l'ordre suivant: du IXe au XIIe siècle environ, l'octave (2/1), la quinte (3/2) et la quarte (4/3); du XIIIe au XVIe siècle, les tierces (5/4 et 6/5); du XVIIe au XVIIIe, la septième (7/4); du XIXe au XXe, la neuvième (9/4), la quinte augmentée (11/7) et la onzième naturelle (11/4). Et en écrivant à la file les sons de ces intervalles consécutifs, on obtient à la fois l'accord Do (1)-Do (2)-Sol (3)-Do (4)-Mi (5)-Sol (6)-Si bémol (7)-Ré (9)-Fa dièze (11), employé pour la première fois dans Pelléas et Mélisande à la façon d'un accord «consonant», et la série régulière des harmoniques d'un son 1 fondamental.» Puis Jean Marnold nous propose un tableau qui a de grandes affinités avec celui que Chailley publiera en 1951:

Dans son Etude sur l'harmonie moderne parue en 1913, René Lenormand mentionne l'intervention de Jean Marnold, sans prendre personnellement position. Mais Alfredo Casella, en 1923, loue Jean Marnold pour avoir «démontré lumineusement la pénétration patiente, incessante et progressive du phénomène de la résonance». Sans être aussi précis que Marnold, Charles Koechlin montre bien, dès 1930, comment «l'évolution de l'harmonie» a des rapports avec la succession des harmoniques. Vers la même époque Karg-Elert, outre-Rhin, fait des remarques du même ordre...

 

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