No. 57/4    décembre 2004

 

«Loyse de Montfort» de François Bazin (1840)

Une cantate du Prix de Rome sur la scène de l'Opéra

par Alexandre Dratwicki

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Né à Marseille le 4 septembre 1816, François Bazin fut admis à 18 ans au Conservatoire de Paris, en octobre 1834. Selon Fétis, «il y eut pour maîtres d'harmonie et d'accompagnement Dourlen et Lecoupey, Benoît fut son professeur d'orgue; Halévy et Berton lui enseignèrent la composition». Comme tout bon aspirant au concours du prix de Rome, il fut solidement préparé à l'épreuve essentielle que représentait la cantate du «concours définitif». Halévy, dans ce domaine, exigea de lui un travail soutenu dont témoignent de nombreux manuscrits conservés. Une dizaine de cantates (certaines inachevées) montrent Bazin s'exerçant sur des livrets parfois anciens, dont tous avaient été l'objet du concours de Rome dans les années précédentes. Nous sont parvenues Bianca Capello (s.d., texte de 1831), Hermann et Ketty (s.d., texte de 1832, [inachevé]), Achille (s.d., texte de 1835), Marie Stuart et Rizzio (1837, texte de la même année), Velléda (1838 [un air seulement], texte de 1836), La Vendetta (s.d. [1839?], texte de 1838). La pièce la plus intéressante est sans doute Agar dans le désert, qui, en novembre 1839 poussera Bazin à persévérer dans ses études après le demi-succès du mois de juin précédent. Un second prix lui avait en effet échu pour sa cantate Fernand, juste derrière Gounod, premier prix. Halévy l'encourage alors, certain du talent de son élève comme le prouve l'indication manuscrite «bravo!», portée en tête de Agar. Le printemps 1840 couronnera les efforts du jeune compositeur, dont Loyse de Montfort sera plus qu'un simple succès académique.

Un livret ambitieux

Cette année-là, si le concours de l'Institut se déroule comme toujours en deux temps, les épreuves paraissent nettement plus ardues qu'à l'accoutumée: «le concours de composition musicale a été précédé d'un concours d'essai assez difficile sous le rapport scientifique; il ne s'agissait rien moins que d'écrire deux fugues à huit voix réelles, et un choeur à six voix avec accompagnement d'orchestre.» Le texte de la cantate illustrait lui aussi une évidente complexification des exigences. La décennie 1830-1840 fut celle de la multiplication des personnages, portés d'abord à deux avant de se stabiliser à trois rôles d'égale importance. En 1839, l'Académie des Beaux-Arts élabora un nouveau règlement pour officialiser les modifications devenues implicites. «La traditionnelle cantate cède la place à une scène lyrique, elle-même précédée d'une introduction instrumentale en deux mouvements, composée d'une réunion de scènes et comportant un cantabile [sans accompagnement]. En somme, on passe d'une forme miniaturisée et faite pour un public restreint à une conception de la musique à grand spectacle: on sent le désir des élèves du Conservatoire de s'orienter vers l'opéra avec ce qu'il permet dans l'étendue et la diversité des moyens scéniques, vocaux et instrumentaux et ce qu'il suggère d'auditoire brillant et mondain. A ce désir, l'Académie et le gouvernement [...] tentent de répondre.» Deux articles de l'ordonnance royale détaillent minutieusement les nouvelles proportions de la cantate:

«Article 7
Le secrétaire perpétuel de l'Académie est chargé d'inviter différents auteurs à composer les paroles d'une pièce de vers propre à être mise en musique. Cette pièce devra se composer de plusieurs scènes à trois interlocuteurs de manière qu'il s'y trouve des solos, duos et trios, sans compter les morceaux de récitatif obligé servant à lier entre elles ces diverses parties. Les pièces de vers ainsi composées seront remises au secrétariat et déposées sous le sceau de l'Académie. [...]

Article 9
La scène lyrique devra être précédée d'une introduction instrumentale assez développée pour se composer de deux mouvements, un largo ou andante et allegro, que les concurrents disposeront suivant les convenances du sujet et qui devront exprimer les différentes passions qu'ils auront à traiter dans la scène même ou la situation des personnages au début de l'action ou enfin les circonstances accessoires ou matérielles du lieu de la scène ou du mouvement choisi par le poëte. Les concurrents devront donner beaucoup de soin à la composition de ce morceau et y employer toutes les ressources de l'instrumentation. Quant à la scène lyrique même, qui ne consistera plus, comme par le passé, en une cantate à une ou deux voix mais en une réunion de scènes ainsi qu'il a été dit plus haut, les concurrents seront tenus d'y introduire un cantabile, à trois voix, sans accompagnement, sans préjudice des autres dispositions propres à la cantate qui restent applicables à la scène lyrique, composée comme il vient d'être dit.»

La difficulté du livret choisi en 1840 par la section de musique réside dans le grand nombre d'ensembles vocaux imposés: fait exceptionnel, les candidats devaient écrire trois airs, deux duos et deux trios, en plus de l'introduction et des récitatifs de liaison. De façon très sensible, le librettiste avait en tous points «élargi les proportions du programme», faisant de la scène lyrique une pièce «importante et de longue haleine». Le Figaro estima même que «Loyse de Montfort est mieux qu'une scène, c'est un acte tout entier». Composé de Cherubini, Auber, Berton, Carafa et Halévy, le jury sélectionna cette cantate à dessein, reconnaissant combien elle «présentait plus de difficultés et [...] demandait plus de connaissances acquises et de dispositions naturelles que par le passé». En compensation, les vers satisfaisaient particulièrement bien à la mise en musique, évidence qui était pourtant loin de se vérifier tous les ans. L'auteur, Emile Deschamps (1791-1871), reçut pour ce faire les conseils avisés d'Emilien Pacini (1810-1898). La Revue et Gazette Musicale jugea «cette scène lyrique [...] coupée dramatiquement [et] bien disposée pour l'effet musical». Elle «a servi amplement la verve des jeunes compositeurs; leur imagination a pu se développer à l'aise». D'autres journaux, plus expansifs encore, détaillèrent les talents du librettiste...

 

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