No. 57/4    décembre 2004

 

Editorial

Nascitur ridiculus mus

par Vincent Arlettaz

 

Allons, il faut que je l'avoue: la vie de rédacteur en chef est parfois assez divertissante. Ainsi, récemment, parmi la multitude de communiqués que je reçois quotidiennement, mon oeil tombe sur l'annonce suivante:

«Le 16 octobre 2004 à l'Opéra de ***** le créateur musical et compositeur d'opéras J. F. L*** donnera en récital exceptionnel une oeuvre magistrale dans le paysage culturel des cinq continents», &c. &c.

Je continue, et vois que «J. F. L*** à cette occasion unique, a accepté de se rendre disponible afin d'apporter toute sa compétence pédagogique aux élèves de conservatoires de musique. Leur sera ainsi offerte l'opportunité d'une rencontre en aparté à l'occasion d'un entretien privé avec le Maître après le récital, portant sur l'importance de l'art dans le rapprochement des peuples, l'abolition des différences, l'harmonie à apporter aux échanges humains, fidèlement à ses engagements personnels.» Est invitée «toute personne se sentant curieuse et sensible à «l'art exceptionnel», car les Variations **** sont une authentique création mondiale qui sort des sentiers battus, ne s'inspirant d'aucun compositeur, d'aucune oeuvre déjà écrite, d'aucune idée toute faite ni d'aucun préjugé», &c. &c. «Le récital du 16 octobre [...] marquera le point de départ d'une tournée internationale des plus grandes Maisons d'Opéra du monde», &c. &c.

Eh bien! me dis-je, et moi qui ignorais l'existence même d'un artiste de cette envergure, et voici qu'il vient chez nous tout exprès, nous faire bénéficier de ses lumières, saurons-nous seulement être à la hauteur? Déjà inquiet des problèmes d'ordre public que va causer l'arrivée du prestigieux personnage, je me dis intérieurement que d'ici peu nous pourrions bien regretter le temps du G8 d'Evian, qui n'était somme toute qu'une aimable plaisanterie. Et je suis en train d'écrire à l'imprimeur pour lui demander d'augmenter le tirage, lorsque je reçois un deuxième message:

«J. F. L*** souhaite se rendre disponible auprès de 48 Suisses étudiant le piano afin de dispenser ses enseignements musicaux à l'occasion de deux journées par semaine. Toute personne intéressée est invitée à faire acte de candidature à l'Opéra samedi 16 octobre en soirée à l'occasion du récital; ces cours d'une heure seront dispensés par le maître à trois élèves simultanément (au tarif de 200 francs suisses par personne), offrant ainsi une opportunité artistique, culturelle et surtout pédagogique totalement unique à *****.»

C'est bien cela, me dis-je, le tarif confirme ce qu'on était en droit de penser d'un tel personnage. Arrive la veille du grand jour, je m'apprête à commander des capsules de café au prix de gros pour la rédaction, lorsque tombe ce troisième et ultime message:

«Mesdames, Messieurs,
«Nous vous faisons part de l'annulation du récital du 16 octobre 2004 de Maître J. F. L***, conformément à la décision conjointe du producteur de la tournée et de l'Opéra, due au fait que les clauses du contrat n'ont pu être menées à terme en date du 14 octobre 2004 par les deux parties. Merci.»

Alors, soulagé le rédacteur en chef? Mhh... Quand même, le grand événement m'aura manqué. Finalement, c'est bien ce vieux gredin d'Horace qui avait raison: la montagne accouche toujours d'une souris!

 

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rmsr

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