No. 59/4    décembre 2006

 

Systèmes harmoniques dans les
Nocturnes d'Erik Satie

par Gilbert Delor

 

Lorsqu'à la fin de l'été 1919 il entreprend la composition des Nocturnes pour piano, Satie a derrière lui le succès de ses nombreuses pièces humoristiques, le retentissement teinté de scandale du ballet Parade, et l'achèvement de son «drame symphonique» Socrate. Agé alors de cinquante-trois ans, le «Maître d'Arcueil» est un compositeur dans sa maturité. Mais son souci permanent demeure, comme il le fut toujours, de se renouveler, de ne pas faire ce que l'on attend de lui, et c'est à quoi les Nocturnes vont s'employer, prenant à bien des égards le contre-pied des oeuvres pianistiques antérieures. Déjà Socrate, comme l'observe Robert Orledge, avait marqué l'avènement d'un style que l'on peut qualifier de plus sérieux. Pour Steven Whiting, ce revirement pourrait être dû à une réaction de retrait du mouvement collectif impulsé par Cocteau à la suite de Parade:

«Pendant que les Nouveaux Jeunes répondaient au mot d'ordre de Cocteau de reprendre le «fil perdu» du côté du music-hall et du cirque, Satie se consacrait à des travaux n'ayant rien à voir avec la «musique de tous les jours» (...)».

Les titres mêmes adoptés pour Socrate et pour les Nocturnes, ainsi que l'abandon des indications de jeu fantaisistes, rompent avec la manière coutumière de l'auteur des Croquis et agaceries d'un gros bonhomme en bois. Ornella Volta fait l'hypothèse que ce renoncement pourrait être consécutif à la découverte par Diaghilev, en cette même année 1919, des manuscrits des Péchés de vieillesse de Rossini, en lesquels Satie aurait pu voir un antécédent à ses propres pratiques humoristiques.

Sur le plan musical, les Nocturnes prennent au sérieux l'appartenance générique annoncée par leur titre. Leur atmosphère est douce et méditative, leur tempo lent. Leur structure générale reprend la coupe ABA' instituée par Chopin. La continuité mélodique, la stabilité de la répartition entre chant et accompagnement, ainsi que l'existence d'un véritable plan tonal, vont dans le même sens. L'emploi systématique de la mesure à 12/8, très rare chez Satie, participe également de cette allégeance. Le seul exemple antérieur de l'utilisation de cette métrique est L'Embarquement pour Cythère de 1917, pièce inachevée, inédite jusqu'à une date récente, et qui annonce par plusieurs autres aspects les Nocturnes. A travers toutes ces caractéristiques, ces derniers affichent clairement la volonté, inhabituelle chez un compositeur ayant toujours cultivé une certaine excentricité, de s'inscrire dans un genre reconnu...

 

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