No. 60/1    mars 2007

 

Les entretiens de

Stéphane Audel

(1901-1984)

rmsr

par Malou Haine

 

Il peut paraître curieux, voire inapproprié, de publier un article concernant un acteur belge dans une revue suisse, et de surcroît à spécificité musicale. Pourtant, dans les années 1950, l'acteur Stéphane Audel a réalisé de très nombreux entretiens radiophoniques avec des compositeurs et interprètes musicaux pour Radio Lausanne, précurseur de la Radio Suisse Romande. Les nombreuses activités de Stéphane Audel en Suisse dès 1925 pour le tournage d'un film et la création d'une tragédie, puis ses séjours répétés à Lausanne, vingt-cinq ans plus tard, comme acteur et metteur en scène, comme auteur de pièces de théâtre ou radiophoniques, comme homme de radio et prêtant sa voix lors de nombreuses synchronisations, également récitant remarqué lors du premier enregistrement du Roi David d'Honegger et auteur d'un livre essentiel sur le Théâtre de Jorat en font le plus suisse des acteurs belges de sa génération.

Partageant ses activités entre Paris, Lausanne et l'étranger où le conduisent ses nombreuses tournées théâtrales, Audel n'est pas un inconnu de la Revue Musicale de Suisse Romande. Il y a publié deux articles de souvenirs sur Francis Poulenc, dont il fut l'un des intimes pendant vingt ans: l'un, en 1965, intitulé «Dernier souvenir de Francis Poulenc», l'autre, en 1973, pour commémorer le dixième anniversaire de sa disparition sous le titre «Il y a dix ans: Francis Poulenc». Ces témoignages personnels émeuvent par leur évocation discrète du compositeur des Dialogues des Carmélites et sont complémentaires aux entretiens radiophoniques qu'Audel a rassemblés dans son ouvrage au titre évocateur Francis Poulenc: Moi et mes amis. Confidences recueillies par Stéphane Audel, paru en septembre 1963, huit mois après la disparition inopinée du compositeur français. Sa préface, intitulée «Les derniers jours de Noizay», retrace le dernier week-end passé dans la propriété de Poulenc en Touraine, en janvier 1963. Soulignons au passage que ces entretiens d'Audel avec Poulenc pour Radio Lausanne sont les seuls qui, jusqu'à présent, aient jamais été publiés.

Homme aux activités multiples, Stéphane Audel se définit d'abord comme un acteur de théâtre, ensuite comme un peintre et un chroniqueur, et enfin comme un auteur d'essais et de nouvelles. Si aucune de ces occupations ne l'a conduit au panthéon des hommes célèbres, il nous intéresse cependant pour ses fréquentations de musiciens dont il a laissé plusieurs témoignages. Au cours des différents articles que nous publierons prochainement dans la Revue Musicale de Suisse Romande, notre propos sera principalement de restituer ses souvenirs de musiciens. Le premier de ces articles nous semble devoir pourtant se focaliser sur la personnalité même de Stéphane Audel, ses occupations et ses fréquentations. Sans vouloir nous perdre dans les dédales d'une biographie sans cesse en mouvement, nous évoquerons quelques-unes de ses activités.

Qui est donc ce Stéphane Audel dont le nom ne se trouve dans aucun dictionnaire de référence? Amédée, Bernard, Félix Glesener -- c'est là son vrai nom -- est né à Liège le 23 juin 1901, et est mort à Tilff, petite ville ardennaise à vingt kilomètres à l'est de sa ville natale, le 21 juillet 1984. Il a été élevé dans une famille de petits bourgeois qui comprend à la fois des artistes et des commerçants, mais où «le culte des beaux-arts règne en maître». Amoureux fou de théâtre, son père horloger distrait les enfants en reconstituant, dans un petit théâtre de marionnettes, toutes les pièces auxquelles il assiste à Liège, à Bruxelles et quelquefois aussi à Paris. En âge d'assister aux spectacles, Amédée Glesener accompagne son père au théâtre, à l'opéra et à l'opérette. A cette époque, «on ne jouait guère les classiques, mais Henry Bataille, Paul Hervieu, Henry Bernstein, Eugène Brieux et Victorien Sardou occupaient l'affiche à tour de rôle».

La famille compte un homme de lettres reconnu. L'oncle d'Amédée, le romancier Edmond Glesener (Liège, 1874 -- Ixelles, 1951), a publié une vingtaine de romans et de recueils de nouvelles qui lui assurent une place parmi les auteurs belges de langue française de la première moitié du XXe siècle. Edmond Glesener a d'ailleurs fait partie de l'Académie Royale des Lettres de Belgique dont le fauteuil, après sa mort, sera occupé par un auteur renommé de romans policiers qui a terminé sa vie en Suisse, le Liégeois Georges Simenon.

Amédée Glesener a un frère puîné dont la carrière respectable est fort éloignée des arts et des lettres: Armand Glesener (Liège, 3.12.1905 -- ibid., 29.04.1990), brillant ténor du barreau liégeois qui terminera sa carrière comme avocat général, puis procureur général, avant d'être admis à l'éméritat en 1975.

 

Carrière théâtrale

Amédée Glesener commence par étudier la peinture à l'Ecole des Beaux-Arts de Liège, puis se tourne vers le théâtre qu'il a choisi un peu par hasard, «par désir d'aventure, l'amour des voyages et du dépaysement et la volonté de fuir une atmosphère provinciale». Il quitte sa ville natale et débute au Théâtre Royal du Parc à Bruxelles à l'âge de 18 ans. Le jour de la signature de ce premier engagement théâtral, Sarah Bernhardt est de passage à Bruxelles où elle donne une représentation. Perché au troisième balcon, le jeune provincial attend impatiemment l'apparition de la comédienne tant glorifiée par son père. Ébloui, il force la porte de son hôtel et se trouve devant une actrice, très maquillée, offrant «aux regards des lèvres tuméfiées, des yeux cernés de profondes rides, mais d'un éclat magnifique, et un nez légèrement busqué aux narines palpitantes qui apportaient à sa physionomie une sorte d'indestructible jeunesse». La grande tragédienne lui déclare qu'il possède «un excellent physique et une bonne voix», mais qu'il doit abandonner son affreux accent de terroir. Peu après, ce sont les encouragements de l'acteur Edouard de Max, de passage lui aussi à Bruxelles, qui le décident à se rendre dans la capitale française...

 

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