No. 60/1    mars 2007

 

Lorsque l'opéra sait prendre des risques

Milhaud et Menotti à Fribourg

par Thierry Dagon

 

L'occasion est si rare dans le monde de l'opéra: découvrir. Non que la Traviata, Carmen ou Tosca soient inintéressants, loin de là. Il est évident que, quand bien même nous les connaissons par coeur, nous éprouvons toujours le même plaisir au détour de telle harmonie ou de tel contre ut. Ces opéras de répertoire font recette, la salle comble est assurée. Pourquoi? Il semble que le public d'opéra soit souvent très traditionaliste et n'aime que ce qu'il connaît. Le seul problème est que, pour connaître quelque chose, il faut bien l'avoir entendu une première fois! Carmen n'a pas été appréciée de tous à sa création et il a fallu du temps pour que le Ring mis en scène par Chéreau et dirigé par Boulez s'impose comme référence. L'Opéra de Fribourg, on le sait, préfère le «hors-piste» aux sentiers balisés et tranquilles. Le Pauvre Matelot de Darius Milhaud et le Medium de Giancarlo Menotti ne sont certes pas méconnus des mélomanes avertis, mais l'Opéra de Fribourg a misé avec audace sur deux pièces que le grand public ignore. Et l'on remarque que ledit grand public est conquis. Bien sûr, quelques-uns ont boudé le spectacle de début d'année, cette période, selon eux, se prêtant mieux à la Veuve Joyeuse ou à la Belle Hélène qu'à deux opéras d'une noirceur fort éloignée de l'humeur badine du moment.

 

Vérisme et réalisme?

Jean-Marie Abplanalp a créé une base de décor unique pour les deux opéras. Mais quelques éléments ainsi que les éclairages de Serge Simon donnent une impression de deux univers fort différents bien que liés dans la dramaturgie. Le Pauvre Matelot est inspiré par un sordide fait divers. Jean Cocteau, dans un langage simple et direct, fait parler des personnages avec une forte adhésion du style à la réalité sociale représentée. Milhaud les fait chanter avec le désir d'accommoder une inspiration populaire avec ses expériences polytonales du moment (l'opéra fut créé en 1927). Brigitte Antonelli, qui campe la femme du Matelot, est tout à fait convaincante dans un rôle que l'on aurait pu voir jouer par une Orane Demazis. Très engagé, très précis aussi sur le plan rythmique et mélodique, son soprano est malheureusement entaché par un vibrato très large et par une diction confuse.

Les messieurs en revanche sont absolument irréprochables dans leur élocution et c'est un plaisir de découvrir Vincent Deliau en ami emprunté, un brin pataud, ainsi que la magnifique présence scénique et vocale du beau-père David-Alexandre Borloz. Le rôle-titre est tenu avec une belle prestance par Jérôme Billy. Le ténor conduit sa belle voix en souplesse, sa projection le faisant passer très facilement et sans jamais forcer par-dessus l'orchestre. Il faut dire que les chants de marins remaniés par Milhaud claquent comme des voiles et que l'absence de fosse ne facilite pas la tâche du plateau ni du chef. Ce refrain lancinant ne sera bientôt qu'un mauvais souvenir...

 

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