No. 60/3    septembre 2007

 


Trois entretiens inédits de Darius Milhaud
avec Stéphane Audel (1956)
(première partie)

Transcrits, présentés et annotés par Malou Haine, chercheur associé à l'IRPMF, professeur à l'Université Libre de Bruxelles, conservateur du Musée des Instruments de Musique de Bruxelles

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Darius Milhaud, à droite, avec Dmitri Chostakovitch
(à gauche) et Jean Wiéner, Paris, vers 1959

 

Introduction

En 1956, au moment où Stéphane Audel réalise ces entretiens pour Radio-Lausanne, Darius Milhaud ne compte pas seulement parmi les principaux compositeurs français, mais il est l'un des représentants les plus importants du XXe siècle. Auteur de très nombreuses compositions dans les genres et formations les plus variées, il a effectué des recherches novatrices dans le domaine de la polytonalité.

Le compositeur du ballet L'Homme et son désir a déjà fait part de ses souvenirs dans son ouvrage Notes sans musique publié en 1949. Paul Collaer lui a consacré un important ouvrage en 1947 et les entretiens avec Claude Rostand ont paru en 1952. Ces derniers sont nettement plus développés que les trois interviews diffusées sur les antennes de Radio-Lausanne. Si ces entretiens radiophoniques n'apportent pas d'éléments fondamentalement nouveaux par rapport aux ouvrages et entretiens déjà réalisés, il nous a néanmoins semblé intéressant d'en donner une version écrite, car certains détails apportent un complément d'information.

Darius Milhaud vu par Stéphane Audel

La préparation par Stéphane Audel des émissions radiophoniques avec Darius Milhaud sera des plus faciles, car le compositeur se prête avec beaucoup d'amabilité aux exigences de l'époque. Les émissions radiophoniques ne sont en effet jamais improvisées: suite à une ou plusieurs rencontres informelles entre les deux hommes, Audel établit un plan et découpe les entretiens en diverses émissions. Il rédige la série de questions qui sera le fil conducteur des émissions. Ensuite le compositeur apporte par écrit ses réponses. On procède aux répétitions où chacun lit sa partie afin de ne pas dépasser la durée allouée à chaque émission. Enfin, étant donné les difficultés de déplacement du compositeur, les enregistrements auront lieu dans son appartement même et non dans un studio de Radio-France, comme c'est le cas habituellement lors des autres entretiens qu'Audel réalise pour Radio-Lausanne avec des compositeurs français. La préparation des émissions se tient en mars 1956 et leur enregistrement deux mois plus tard. Hors antenne, Milhaud parle avec émotion d'André de Richaud (1907-1968), écrivain et auteur dramatique pour lequel il a écrit en 1932 la musique de scène du Château des Papes destinée à un quatuor vocal, deux pianos et des ondes Martenot.

Suite à ces entretiens, Audel gardera quelques contacts avec Milhaud. Il lui rend visite à plusieurs reprises ainsi qu'en témoigne son Journal intime inédit. Fin avril 1960, il assiste au vernissage des aquarelles de Daniel Milhaud qui réalise une sorte de compromis très frais entre l'art figuratif et l'art abstrait. Le compositeur préside et fait la présentation des oeuvres de son fils: «Il trône dans son fauteuil roulant comme un patriarche auquel chacun va rendre hommage».

Stéphane Audel fait part de ses impressions dans son Journal intime. A 64 ans Milhaud ne paraît pas son âge: «Pas un cheveu blanc, l'oeil vif, la parole prompte, tout empreinte de bonté et de noblesse». Audel ressent un véritable plaisir à interroger cet homme «courtois, débonnaire et d'une largesse d'esprit exceptionnelle» qui témoigne d'une modestie constante, d'une générosité rare chez les compositeurs. Jamais il ne dénigre ses confrères ni qui que ce soit: «Il est la bonté, l'indulgence faites homme».

Les entretiens se réalisent dans l'appartement même de Milhaud, c'est-à-dire dans une atmosphère toute familiale, intime et presque tendre qui favorise l'épanchement. L'appartement est simple, sans apparat. Des toiles de Dufy, des eaux-fortes de Cézanne, un «tableau amusant» de Fernand Léger, quelques masques mexicains de l'ère précolombienne et des bibelots qui valent davantage pour le pittoresque que par leur valeur. On se trouve loin du luxe bourgeois de chez Francis Poulenc.

Premier entretien

Audel: Cher Darius Milhaud, vous me faites l'honneur de vous soumettre au supplice de l'interview dans votre studio et j'en suis enchanté. Cela me permet de décrire en quelques mots le cadre dans lequel vous vivez et travaillez. Si quelques bruits parasitaires viennent troubler nos émissions, nos auditeurs ne s'en étonneront pas, lorsque je leur aurai dit que vous me recevez dans votre studio qui se trouve au premier étage d'un immeuble du Boulevard de Clichy et que vous pouvez contempler de vos fenêtres la bruyante Place Pigalle.
Mis à part d'innombrables partitions, des bouquins et l'indispensable piano à queue, je vois pendu au mur un portrait de Francis Poulenc par Jacques-Emile Blanche et trois eaux-fortes gravées par Cézanne. Ces oeuvres attestent de votre fidélité en amitié et de vos origines puisque vous êtes né à Aix-en-Provence. Je désirerais que vous informiez nos auditeurs des prémices de votre vocation et de la façon dont vos parents les ont accueillies.

Milhaud: Je vous dirais avant tout que j'ai eu une vie heureuse. J'ai eu les parents les plus adorables qu'il soit possible d'imaginer. Mon père, qui était un homme d'affaires, aurait pu souhaiter que je continue sa maison de commerce d'amandes et sa banque qui était dans la famille depuis plus de 150 ans. J'étais fils unique et je dois dire qu'il n'en a même jamais exprimé le désir...

 

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