No. 62/2    juin 2009

 

A la recherche du timbre perdu

Une histoire brève du «cyber-orchestre»

par Vincent Arlettaz

Simulateur de timbre

Fig. 1: le premier synthétiseur de l'histoire, conçu vers 1860
par le physicien allemand Hermann von Helmholtz.

 

Le cyber-orchestre? Nous voyons déjà certains de nos lecteurs esquisser une moue désapprobatrice. Comment l'ordinateur pourrait-il se substituer à un véritable artiste, et produire autre chose que des sons synthétiques, aussi éloignés du son des instruments réels que les images de synthèse des récentes productions «Pixar» le sont des dessins merveilleux que Walt Disney créait pour ses chefs-d'oeuvre Blanche-Neige ou Cendrillon? A ces esprits sceptiques, nous conseillerons d'écouter sans plus attendre le disque joint à la présente revue. Ces morceaux de démonstration (plages 1 à 5) ont en effet été réalisés à l'aide du seul ordinateur. On se rendra rapidement compte qu'ils n'ont plus rien à voir avec ce que proposaient les synthétiseurs des années 1970, voire avec les sons «General Midi» ou «Garritan Library» qui accompagnent la plupart des logiciels de notation musicale que nous utilisons désormais quotidiennement. C'est qu'une révolution majeure a lieu depuis quelques années dans le monde de la musique assistée par ordinateur. Et bien que la Revue Musicale de Suisse Romande ne soit pas une revue d'informatique musicale, nous avons souhaité lever un bout de voile sur cette planète nouvelle, et provoquer le débat.

Reproduire les sons de l'orchestre symphonique artificiellement, à volonté, sans avoir à mobiliser des dizaines de musiciens, est un mythe déjà ancien. C'est que, confronté aux difficultés énormes -- aussi bien humaines qu'artistiques ou financières -- que représente la gestion d'un orchestre de haut niveau, le compositeur classique, dès l'époque romantique, se retrouve très démuni, souvent même dans l'impossibilité de faire exécuter ses oeuvres. Franz Liszt déjà, en 1855, remerciant un correspondant pour l'envoi d'une photographie, se lamente: «si l'on réussissait, par quelque procédé analogue à celui de la photographie, à faire entendre la musique par la lecture, je m'empresserais de prendre ma revanche en vous envoyant entre autres une nouvelle composition que j'ai faite d'après les Préludes de Lamartine. Malheureusement les Musiciens sont fort mal partagés à cet égard comme à d'autres et condamnés à une dépendance fort dure parfois du matériel et du personnel indispensable à l'audition de leur oeuvre.» Quatre-vingts ans plus tard, Arthur Honegger reprendra le thème, ajoutant même un avantage (réel ou supposé) de l'orchestre «artificiel», celui de la précision: les oeuvres enregistrées dans le carton perforé, dit-il, peuvent nous faire entendre le tempo et les nuances voulues par le compositeur lui-même. Le piano mécanique (Pleyela) est alors déjà délaissé, mais on travaille à un instrument plus perfectionné, qui permettrait d'imiter tous les timbres de l'orchestre: «Si l'on parvenait à créer cet instrument, les compositeurs auraient alors à leur disposition une possibilité d'exécution directe, sans que leur pensée soit obligée de subir la déformation de l'interprète.» Vingt ans plus tard, dans les années 1950, des projets plus précis sont en cours; mais déjà l'enthousiasme semble retomber, devant les difficultés inattendues qui se présentent. Ainsi, Alain de Chambure écrit en 1965:

«Ce sont des ingénieurs américains de la R.C.A. [station de radio, ndlr], groupés autour d'Olson, qui, à cette époque [vers 1950], ont pu renouveler l'approche de la lutherie électronique en construisant une machine gigantesque capable, théoriquement, de reproduire n'importe quel timbre de l'orchestre. Ce «synthétiseur» n'apportait toutefois pas toutes les satisfactions attendues [...]»

Ce qui n'empêche pas le même de Chambure de préciser un peu plus loin le genre d'attente qui est celle de son époque:

«Imaginons un instant, pour conclure, ce que pourrait être l'univers musical dans quelques années. La connaissance des réactions des systèmes centraux permettra de construire une musique fonctionnelle prédéterminée selon des caractéristiques définies par des lois sociologiques. La connaissance des systèmes sensoriels permettra une diffusion de cette musique par application directe de stimuli électriques sur certains éléments du corps humain, sans utiliser l'intermédiaire acoustique, par simple application de quelques électrodes sur l'avant-bras. / L'élément musical sera établi par un synthétiseur électronique recevant lui-même -- comme un simple pianiste du XXe siècle -- les éléments d'une partition écrite en «langage machine». Cette partition en «machinois» résultera de la programmation des données sociologiques. / Enfin, la musique ne s'entendra plus, n'aura besoin ni d'exécutant ni même de compositeur. Est-ce de la science-fiction? Peut-être. Je souhaite, pour ma part, ne pas en être l'auditeur.»

Sur ce point, nous pourrions rassurer totalement notre cher anticipateur: car près d'un demi-siècle plus tard, les êtres humains mangent encore de la baguette et du camembert, achètent de vraies fleurs et boivent de la bière on ne peut plus houblonnée! Oubliant donc ce rêve de machinisme absolu -- qui paraît à la vérité issu d'un film de Jacques Tati -- nous pouvons nous pencher plus spécifiquement sur ce que les Terriens ont réalisé depuis leurs débuts dans le domaine du cyber-orchestre; comme on le verra, en un peu plus d'un siècle, les progrès ont été considérables.

Les premières bases théoriques: Helmholtz

La synthèse du timbre a déjà été annoncée (ou plutôt prophétisée) au XIXe siècle par le physicien allemand Hermann von Helmholtz (1821-1894). Celui-ci, qui a sans doute plus apporté à la science de l'acoustique que n'importe quel chercheur avant lui, fut le premier notamment à mettre en évidence le rôle des sons partiels harmoniques pour la couleur sonore. On trouvera ci-après une description plus complète de la théorie de Helmholtz (voir pages 60-62). Pour une première approche globale, il peut suffire de retenir que, selon le savant allemand, le timbre d'un son est fonction de sa structure d'harmoniques. Rappelons que tout son musical est en fait complexe, contenant en lui-même une série plus ou moins importante de sons harmoniques, qui correspondent aux intervalles suivants...

 

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RMSR juin 2009

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