No. 62/4    décembre 2009

 

Humour et ironie

dans les opéras de
Carl Maria von Weber
(1786-1826)

par Charlotte Loriot

Carl Maria von Weber


La vie, les écrits et la musique de Weber témoignent d'une personnalité facétieuse et prompte à l'humour. Souvent relevée, rarement explorée, cette composante du style de ce musicien allemand mérite pourtant l'attention. Est-elle en relation avec le développement contemporain de l'ironie romantique?

Né en 1786, Weber assista à la naissance du romantisme littéraire, en avance de quelques années sur le romantisme musical. Une forme spécifique de comique émergeait alors chez les théoriciens et les écrivains allemands. Le compositeur fréquenta les cercles intellectuels dans lesquels se développèrent les théories naissantes du Witz, de l'humour et de l'ironie romantiques. Ces fréquentations eurent-elles des répercussions sur sa musique? Comment ces influences se sont-elles manifestées dans ses opéras? Autant de questions délicates auxquelles il convient de réfléchir.


I. Un contexte culturel propice au comique

Aujourd'hui, l'humour évoque pour nous une forme spontanée de comique, une humeur gaie, légère et un esprit avant tout ludique. L'ironie repose davantage sur des formules rhétoriques. Elle comporte une dimension critique, parfois polémique, et n'est pas exempte de négativité. L'humour et l'ironie sont considérés comme deux catégories du comique. Mais ces définitions sont les nôtres et ont évolué au cours des décennies. Pendant longtemps et jusqu'au xviiie siècle, l'ironie s'est limitée essentiellement au champ de la rhétorique et aux figures des traités de rhétorique ou de grammaire (antiphrases, litotes...).

Des formes bien spécifiques d'humour et d'ironie apparurent en Allemagne au tout début du xixe siècle. De nouvelles définitions furent conceptualisées par les frères Schlegel, par Jean Paul Richter dit Jean Paul et par Karl Wilhelm Solger. Le changement qui s'opéra fut une modification progressive du statut de l'ironie, qui évolua de la rhétorique à la théorie littéraire, puis au champ de la philosophie et de l'esthétique. Cette théorie de l'ironie romantique est une donnée exclusivement germanique, par son positionnement dans un champ spécifique et à l'accès restreint. Comme Haydn et Beethoven avant lui, Weber fut profondément influencé par le développement de l'ironie romantique. Le musicien établit des relations d'estime et d'amitié avec des écrivains et des philosophes reconnus et influents. Il connaissait les théories des frères Schlegel et fréquentait Jean Paul. Il se lia également avec des écrivains romantiques comme Ernst Theodor Amadeus Hoffmann et Ludwig Tieck.

On situe généralement la naissance de l'ironie romantique à l'été 1797, avec la publication par Friedrich Schlegel des Fragments critiques dans la revue berlinoise Lyceum der schönen Künste. Souvent dévalorisée au xviiie siècle, l'ironie acquiert avec Schlegel le statut d'une catégorie aux enjeux philosophiques élevés. Le philosophe s'autorise de Socrate pour justifier sa démarche et fonder sa propre définition de l'ironie:

L'ironie socratique est l'unique feinte foncièrement involontaire et pourtant foncièrement lucide. Il est aussi impossible de la simuler que de la dévoiler. Pour celui qui ne l'a pas, elle demeure, même ouvertement avouée, une énigme. [...] Tout en elle doit être plaisanterie, et tout doit être sérieux, tout offert à coeur ouvert, et profondément dissimulé. [...] Elle abrite et excite le sentiment de l'insoluble conflit entre l'inconditionné et le conditionné, de l'impossibilité et de la nécessité d'une communication sans reste. [...] C'est un très bon signe, quand les plats partisans de l'harmonie ne savent plus du tout comment il leur faut prendre cette continuelle autoparodie, tour à tour s'y fient et s'en défient sans répit, jusqu'à ce que, saisis de vertige, ils prennent justement la plaisanterie au sérieux et le sérieux pour une plaisanterie.

Schlegel résume ici ses propres conceptions de l'ironie. La volonté de mettre en question les valeurs établies apparaît clairement chez le philosophe, qui fonde sa pensée sur l'idée de vertige. L'ironie exprime toujours un jugement critique: l'ironiste est un moraliste qui désigne les imperfections par des termes qui ne conviennent qu'à son idéal.

Des théories sur l'humour et sur le Witz émergent conjointement aux réflexions sur l'ironie romantique. Néanmoins, les distinctions entre les trois catégories posent problème: ironie et Witz sont souvent imbriqués, même dans l'esprit des théoriciens. L'ironie serait plus formelle tandis que le Witz, plus soudain et instantané, se rapprocherait du trait d'esprit. En outre, les théoriciens ne s'accordent pas toujours sur les définitions. Les conceptions de Solger remettent en cause certains énoncés de Friedrich Schlegel. D'autre part, les définitions de l'humour données par l'écrivain Jean Paul Richter, l'un des principaux théoriciens romantiques de l'humour, sont très proches des définitions de l'ironie développées par Friedrich Schlegel.

Jean Paul fut avec Tieck l'un des visiteurs les plus réguliers de la maison d'été de Weber à Hosterwitz près de Dresde. Il publia en 1804 un Cours préparatoire d'esthétique où il pratique l'art du détour et de l'arabesque, multiplie les interruptions et les clins d'oeil au lecteur, et surtout manie l'humour et l'ironie. Jean Paul définit l'humour comme un «sublime inversé», puisque l'infini est représenté par son contraire, la petitesse:

En tant que sublime inversé, l'humour anéantit non pas l'individuel, mais le fini, par le contraste avec l'idée. Il n'existe pas pour lui de déraison individuelle ni d'individus déraisonnables, mais seulement la déraison et un monde insensé [...] l'humoriste aurait plutôt tendance à prendre la déraison individuelle sous sa garde, et à mettre le sbire du pilori en prison, avec tous les spectateurs, car ce qui le préoccupe n'est pas la folie de tel ou tel citoyen, mais la folie humaine, c'est-à-dire l'universel.

 

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RMSR décembre 2009

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