Humour et ironie dans les opéras de par Charlotte Loriot
Né en 1786, Weber assista à la naissance du romantisme littéraire, en avance de quelques années sur le romantisme musical. Une forme spécifique de comique émergeait alors chez les théoriciens et les écrivains allemands. Le compositeur fréquenta les cercles intellectuels dans lesquels se développèrent les théories naissantes du Witz, de l'humour et de l'ironie romantiques. Ces fréquentations eurent-elles des répercussions sur sa musique? Comment ces influences se sont-elles manifestées dans ses opéras? Autant de questions délicates auxquelles il convient de réfléchir.
Aujourd'hui, l'humour évoque pour nous une forme spontanée de comique, une humeur gaie, légère et un esprit avant tout ludique. L'ironie repose davantage sur des formules rhétoriques. Elle comporte une dimension critique, parfois polémique, et n'est pas exempte de négativité. L'humour et l'ironie sont considérés comme deux catégories du comique. Mais ces définitions sont les nôtres et ont évolué au cours des décennies. Pendant longtemps et jusqu'au xviiie siècle, l'ironie s'est limitée essentiellement au champ de la rhétorique et aux figures des traités de rhétorique ou de grammaire (antiphrases, litotes...). Des formes bien spécifiques d'humour et d'ironie apparurent en Allemagne au tout début du xixe siècle. De nouvelles définitions furent conceptualisées par les frères Schlegel, par Jean Paul Richter dit Jean Paul et par Karl Wilhelm Solger. Le changement qui s'opéra fut une modification progressive du statut de l'ironie, qui évolua de la rhétorique à la théorie littéraire, puis au champ de la philosophie et de l'esthétique. Cette théorie de l'ironie romantique est une donnée exclusivement germanique, par son positionnement dans un champ spécifique et à l'accès restreint. Comme Haydn et Beethoven avant lui, Weber fut profondément influencé par le développement de l'ironie romantique. Le musicien établit des relations d'estime et d'amitié avec des écrivains et des philosophes reconnus et influents. Il connaissait les théories des frères Schlegel et fréquentait Jean Paul. Il se lia également avec des écrivains romantiques comme Ernst Theodor Amadeus Hoffmann et Ludwig Tieck. On situe généralement la naissance de l'ironie romantique à l'été 1797, avec la publication par Friedrich Schlegel des Fragments critiques dans la revue berlinoise Lyceum der schönen Künste. Souvent dévalorisée au xviiie siècle, l'ironie acquiert avec Schlegel le statut d'une catégorie aux enjeux philosophiques élevés. Le philosophe s'autorise de Socrate pour justifier sa démarche et fonder sa propre définition de l'ironie:
Schlegel résume ici ses propres conceptions de l'ironie. La volonté de mettre en question les valeurs établies apparaît clairement chez le philosophe, qui fonde sa pensée sur l'idée de vertige. L'ironie exprime toujours un jugement critique: l'ironiste est un moraliste qui désigne les imperfections par des termes qui ne conviennent qu'à son idéal. Des théories sur l'humour et sur le Witz émergent conjointement aux réflexions sur l'ironie romantique. Néanmoins, les distinctions entre les trois catégories posent problème: ironie et Witz sont souvent imbriqués, même dans l'esprit des théoriciens. L'ironie serait plus formelle tandis que le Witz, plus soudain et instantané, se rapprocherait du trait d'esprit. En outre, les théoriciens ne s'accordent pas toujours sur les définitions. Les conceptions de Solger remettent en cause certains énoncés de Friedrich Schlegel. D'autre part, les définitions de l'humour données par l'écrivain Jean Paul Richter, l'un des principaux théoriciens romantiques de l'humour, sont très proches des définitions de l'ironie développées par Friedrich Schlegel. Jean Paul fut avec Tieck l'un des visiteurs les plus réguliers de la maison d'été de Weber à Hosterwitz près de Dresde. Il publia en 1804 un Cours préparatoire d'esthétique où il pratique l'art du détour et de l'arabesque, multiplie les interruptions et les clins d'oeil au lecteur, et surtout manie l'humour et l'ironie. Jean Paul définit l'humour comme un «sublime inversé», puisque l'infini est représenté par son contraire, la petitesse:
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(page mise à jour le 20 décembre 2009)