No. 63/2    juin 2010

 

Les «motifs de rappel»
dans Ariane et Barbe-Bleue
de Paul Dukas (1865-1935)

par Pauline Ritaine

Paul Dukas

Tout comme le Pelléas et Mélisande de Claude Debussy (1902), Barbe-Bleue, unique opéra de Paul Dukas (1907), fut créé à l'Opéra-Comique de Paris, et emprunte son livret à une pièce du poète symboliste Maurice Maeterlinck. Mais au-delà de l'auteur de La Mer, c'est évidemment au modèle wagnérien que se confronte Dukas dans cet ouvrage, notamment par son utilisation renouvelée du système des leitmotivs, ou «motifs de rappel». (réd.)

Alors que le drame wagnérien ne suscite plus la polémique depuis déjà quelques années, il n'en est pas de même de l'influence wagnérienne dans l'opéra français lorsque Ariane et Barbe-Bleue de Paul Dukas est porté à la scène le 10 mai 1907. Dukas lui-même, critique musical prolixe dès 1892, particulièrement préoccupé par les questions lyriques, a largement traité cette question, que ce soit à propos d'une oeuvre comme Le Rêve de Bruneau: «La partition de M. Bruneau fut la première tentative franche d'un accommodement du wagnérisme au tempérament français.» Ou bien, précisément, en étudiant le principe du leitmotiv qui «a définitivement prévalu, [...] [car] il s'accorde à merveille avec le sentiment plus affiné du théâtre musical, avec notre besoin de logique dramatique et d'unité d'impression, [...] il caractérise, en un mot, le génie de notre époque [...].» En 1901 alors qu'il esquisse la musique d'Ariane et Barbe-Bleue, Dukas condamne l'utilisation dogmatique du leitmotiv, et juge sévèrement les compositeurs qui «se contentent d'une suite quelconque de notes après être convenus avec eux-mêmes que cette suite de notes représentera tel sentiment ou même tel objet matériel.» Le «motif de rappel», comme le leitmotiv wagnérien ne doit pas être le «résultat d'intentions réfléchies, de recherches calculées», mais engendré par un besoin musical et dramatique.

Ariane et Barbe-Bleue, oeuvre dans laquelle «aucune mesure n'est non thématique», n'échappera pas à l'amalgame wagnérien. Certains critiques seront franchement acerbes: les «facultés assimilatrices tiennent une place prépondérante: mélange de polyphonie wagnérienne dans les parties purement symphoniques et d'opportunisme debussyste dans les parties dialoguées.» D'autres faussement nuancés dans leur propos: «M. Paul Dukas a pu dépouiller l'appareil extérieur et personnel du wagnérisme, il n'en reste pas moins le disciple du maître de Bayreuth.»

Le présent article propose d'analyser les motifs de rappels dans l'unique oeuvre lyrique de Paul Dukas, de comprendre la logique sur laquelle ils reposent, d'observer les liens entretenus avec les oeuvres contemporaines et les drames wagnériens. Enfin de discerner les influences dans l'écriture, le traitement ou la symbolique des thèmes. Comme le relevait Olivier Messiaen en 1936, Paul Dukas a choisi Ariane «parce qu'elle représentait la Lumière de toutes les religions, de toutes les philosophies, de toutes les esthétiques, de toutes les civilisations venues et à venir.» Voici en substance le résumé de l'action.


Synopsis

L'oeuvre s'ouvre avec l'arrivée d'Ariane, sixième épouse de Barbe-Bleue, au château du Seigneur, accompagnée de sa Nourrice. On entend les cris lointains des paysans lesquels, subjugués par sa beauté, désirent la sauver, les cinq précédentes épouses ayant disparu mystérieusement. Barbe-Bleue a donné sept clefs à Ariane, six en argent et une en or, avec la défense absolue d'utiliser cette dernière. Mais en pénétrant dans la demeure, Ariane s'est donné une mission: libérer les femmes, dont elle ne doute pas qu'elles soient encore en vie. Après avoir ouvert les six portes correspondant aux six clefs «permises», après les ruissellements d'améthystes, de saphirs, de perles, d'émeraudes, de rubis et de diamants, Ariane ouvre la dernière porte, d'où jaillit des ténèbres un chant plaintif: celui des captives. Barbe-Bleue survient, consent à pardonner à Ariane si elle renonce à savoir. Elle refuse; Barbe-Bleue la saisit et les paysans envahissent la salle, Ariane s'interpose «Que voulez-vous? Il ne m'a fait aucun mal»; elle referme la porte et revient vers Barbe-Bleue.

Le rideau du second acte s'ouvre sur les souterrains du château, où Ariane et la Nourrice se retrouvent enfermées. Elles y découvrent les cinq prisonnières. Cet acte est un long «crescendo de l'ombre à la lumière». Ariane va en effet briser un vitrail, faisant ainsi pénétrer la lumière et libérer les femmes.

Au troisième acte, Barbe-Bleue s'est enfui; les femmes jouissent de leur liberté retrouvée et se parent de bijoux et de fleurs dans la grande salle du château. Mais Barbe-Bleue revient, les paysans le blessent et le ramènent enchaîné. Les femmes apeurées tombent à genoux, seule Ariane soigne Barbe-Bleue; puis elle demande à chacune si elle désire la suivre. Elles préfèrent la prison familière à l'inconnue liberté. Ainsi que l'écrit Dukas «on ne peut délivrer personne: il vaut mieux se délivrer soi-même.» Ariane se délivre, «elle triomphe de la pitié que lui inspirent ses «pauvres soeurs» et quitte le château sur cette victoire, très calme, très triste, comme il sied après des victoires pareilles!»

 

Caractérisation des motifs

Le système thématique d'Ariane et Barbe-Bleue repose sur un nombre restreint de motifs, quinze précisément. Document méconnu, le premier cahier d'esquisses d'Ariane et Barbe-Bleue offre les ébauches du travail motivique du compositeur, la genèse de deux motifs, les Filles d'Orlamonde (ex. 5) et l'Admiration (ex. 15). Une page, écrite entre décembre 1899 et août 1901, est particulièrement intéressante car elle expose quelques idées musicales. Le compositeur s'est attaché à des états d'être: «La tranquillité résolue», «L'inquiétude», «L'admiration», «La curiosité»; à un lieu: «Le château»; à des faits liés aux objets: «La permission (les clefs d'argent)», «La défense (la clef d'or)» et enfin «Les paysans [...].» Notons tout d'abord qu'aucune phrase musicale de ce feuillet ne se retrouve dans l'oeuvre, et surtout que parmi ses projets thématiques, Ariane, Barbe-Bleue et les Filles d'Orlamonde sont curieusement absents...

 

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RMSR juin 2010

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