Pour en finir avec Süssmayer Les enjeux de l'intertextualité dans la partition du Requiem de Mozart Par Florence Badol-Bertrand
Ainsi écrivait Süssmayer aux éditions Breitkopf, au moment des travaux de publication du Requiem... tel un corbeau se parant, effectivement, des plumes du paon. Malgré de nombreuses études musicologiques sur les sources, les manuscrits, les témoignages etc... le brouillage des pistes consenti par Constance Mozart -- qui vendit l'autographe quatre fois en promettant l'exclusivité à chacun de ses acheteurs -- et le déploiement des légendes entourent encore l'oeuvre d'un écran de fumée. Je propose néanmoins de mettre en pièces les prétentions de Süssmayer par trois biais: 1. L'analyse musicale, qui révèle l'infrastructure unitaire de l'oeuvre, élaborée essentiellement sur la récurrence de cellules. Elle s'inscrit dans la continuité des recherches de Mozart entamées avec les Quatuors Prussiens en 1789-90 et poursuivies dans ses dernières oeuvres telles La Clémence de Titus et La Flûte enchantée. 2. La place historique de l'oeuvre, que Mozart inscrit au carrefour des temps, dans une lignée qu'il connaît spécifiquement, qu'il cite précisément et sur laquelle il fonde également sa composition. 3. L'étude de l'intertextualité et des partis pris par Mozart à différents niveaux de la composition: par rapport à la matière musicale thématique citée -- Introït; au niveau formel -- Recordare; par rapport à l'autocitation -- Lacrimosa. Ces trois prismes mettent en jeu, chacun à leur manière, la notion de mémoire musicale et donnent des arguments suffisants pour montrer que les pièces dont Süssmayer s'attribue l'entière paternité ont une source mozartienne: ainsi du Sanctus et de l'Agnus, citant une autre sous-partie de l'oeuvre dont on sait qu'elle a été composée par Mozart... quant au Benedictus, on a retrouvé sa thématique dans un cahier d'exercices de Barbara Ployer (Kv 453b), l'une des élèves de Mozart. L'instrumentation, qu'il dit également avoir réalisée, reflète les couleurs chères au dernier Mozart. Les cors de basset ont remplacé les bois de Salzbourg, les hautbois, en particulier, immanquablement symboliques de la France et du passé. La sémantique des cors de basset est en devenir mais elle conserve la référence à l'origine pastorale des bois -- dans le Recordare, en fa majeur, justement. Les trombones font partie de l'usage religieux autrichien et personne ne saurait s'en étonner à l'époque. L'association à l'au-delà et à la voix de basse, dans le Tuba Mirum, par exemple, éclaire l'emploi de l'instrument pour figurer l'autorité de type paternel à l'opéra. D'emblée et à sa manière, il semble que Süssmayer ait brouillé les pistes lui aussi, sans qu'il soit évident de déterminer pourquoi ni avec quel aval: il signe «Mozart » sur la première page et fait précéder l'annotation «di me mpria / de moi», tout en ajoutant la date de 1792 -- précisément 792, selon une pratique courante à l'époque. On peut s'interroger sur cette date: pourquoi faire comme si Mozart l'avait écrite lui-même alors que chacun savait qu'il était mort ? Et pourquoi cette signature qui, à y regarder d'un peu plus près, ne peut donner le change tant elle est différente de celle de Mozart? Süssmayer était mort depuis plus de vingt ans lorsque les débats sur le Requiem furent rouverts, à partir de 1825. Voilà ce qu'en dit alors l'abbé Stadler à l'éditeur André dans une lettre datée du 1er octobre:
L'analyse musicale de la construction et le repérage des fils conducteurs qui sous-tendent toute l'oeuvre confirmeront cette assertion.
L'infrastructure de l'oeuvre, élaborée au point qu'elle en compense l'inachèvement, rend évidente la griffe mozartienne, là même où Süssmayer s'attribuait la composition. Le relevé du retour des éléments thématiques est éloquent. Quelques-uns des plus caractéristiques irriguent la partition par leur récurrence dans des contextes musicaux différents. Ils façonnent l'architecture et assurent le sentiment de cohérence frappant que suscite le Requiem...
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(page mise à jour le 20 juin 2011)