« Etre musicien » selon Paul Badura-Skoda par Anya Leveillé et Nancy Rieben
Le 2 août dernier, la basilique romane de Saint-Ursanne était investie par l'esprit de Schubert, dont les notes incandescentes virevoltaient sous les voûtes du cloître, aux côtés des chauves-souris. Lors de cette soirée d'ouverture de la huitième édition du festival «Piano à Saint-Ursanne», le public, hypnotisé, assistait au récital du pianiste viennois Paul Badura-Skoda qui proposait un choix d'oeuvres aussi poétique qu'exigeant. Rien qu'à sa lecture, le programme donnait le tournis: aux six Moments musicaux succédaient la redoutable Wanderer-Fantaisie (dont l'extrême virtuosité effraie plus d'un pianiste chevronné), les charmantes Atzenbrugger Tänze et enfin la dernière Sonate D960, un des sommets de la musique pour piano de Schubert et oeuvre fétiche de Paul Badura-Skoda, qui n'a cessé de la jouer et de l'enregistrer tout au long de sa carrière. Pourtant, aucun signe de routine ne transparaissait dans son jeu si habité et imaginatif; on aurait cru découvrir l'oeuvre pour la première fois! S'il fallait décrire Paul Badura-Skoda en un seul mot, ce serait, sans hésitation aucune, l'élégance. Elégance du jeu, du geste, de la parole. Du haut de ses 84 ans, ce musicien, qui est incontestablement l'un des plus grands noms du piano du XXe siècle, a gardé une fraîcheur et une simplicité totalement désarmantes. Le lendemain de son concert, sur la terrasse d'un café surplombant le Doubs, le pianiste nous demande, dans un éclat de rire, de parler «à voix haute», car «après tout le bruit que j'ai produit hier dans la Fantaisie de Schubert, je suis un peu sourd!» Dans un français impeccable, teinté d'un délicat accent viennois, il nous livre avec humour sa vision du métier de musicien. RMSR: Paul Badura-Skoda, pour vous «être musicien» ne se résume pas à l'interprétation: vous êtes également musicologue, éditeur, compositeur, chef d'orchestre... D'où vous vient cette conception du métier de musicien? Et la composition... Mes maîtres furent les compositeurs eux-mêmes. J'ai appris à saisir la pensée d'un compositeur, non seulement la pensée imaginaire, mais aussi ce qui se trouve derrière, la construction, la grammaire de la musique. Ma spécialité, c'est d'inventer des mouvements, des cadences dans le style d'un certain compositeur. Je crois que je suis particulièrement doué pour cela, parce que je connais leur façon d'écrire. Dans chaque style, il y a des choses qui sont permises et d'autres qui ne le sont pas. Chez Mozart, par exemple, on ne trouvera jamais une tierce diminuée. Si j'écris une cadence dans le style de Mozart, j'évite cette harmonie qui est pourtant tout à fait normale et très fréquente chez Schubert, Chopin ou Wagner. De même, si j'écris une cadence pour une oeuvre de Mozart, j'essaie de ne pas dépasser l'étendue de son piano. En cela, mes cadences sont très différentes des cadences romantiques qui sont toujours trop longues et déséquilibrées par rapport au reste du mouvement: une oeuvre dans l'oeuvre. Vous avez également composé des oeuvres à part entière...
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(page mise à jour le 15 septembre 2011)