No. 64/3    septembre 2011

Une soirée à Epidaure

par Vincent Arlettaz

 

S'il est un lieu entre tous qui symbolise aujourd'hui la tragédie grecque antique, c'est sans nul doute Epidaure. Blotti au coeur de collines boisées de pins, son célèbre théâtre est le mieux conservé de toute la Grèce. A longueur d'année, ce sont des centaines de milliers de touristes qui affluent du monde entier pour découvrir sa fameuse acoustique. Et chaque été, le Festival d'Athènes et d'Epidaure y propose un spectacle par semaine, avec des représentations le vendredi et le samedi. Cette année, Euripide surtout y était à l'honneur; mais aussi Aristophane (La Paix), Shakespeare (Richard III) -- de même que plusieurs créations basées plus ou moins directement sur des extraits du répertoire antique. Pour achever notre parcours au pays de la tragédie, un passage dans ces lieux s'imposait évidemment.

Au contraire de nombreuses autres régions du pays, qui consistent en collines arides couvertes d'une maigre végétation, l'Est de l'Argolide est une contrée boisée et verte. Partant de Nauplie, la route traverse d'agréables vallons, sous le soleil implacable d'août. A mon arrivée sur les lieux, en fin d'après-midi, je découvre d'abord le site archéologique. Epidaure fut, durant toute l'Antiquité, un centre de soins réputé: temples, hôtelleries, cabinets de consultation avaient été prévus pour une large clientèle, sous les auspices du dieu guérisseur Asclépios. De cet imposant complexe, comme souvent pour les sites antiques, il ne reste aujourd'hui que des ruines dépassant à peine le niveau du sol. Quelques colonnes ont certes été redressées, quelques parties de temples restaurées -- c'est-à-dire pratiquement reconstruites -- mais il faut faire appel à toute son imagination pour parvenir à se représenter la ville vivante, haute en couleurs même, que fut Epidaure. A cette règle, il existe toutefois une exception: le théâtre qui, recouvert d'une pinède pendant toute la période où il fut oublié, fut redécouvert quasiment intact au XIXe siècle. Très peu de gradins durent être refaits, quand bien même les dimensions de l'édifice sont impressionnantes: 22 mètres de hauteur totale, près de 60 mètres de distance entre l'orchestre et les derniers rangs de spectateurs, qui pouvaient y prendre place au nombre de 12'000 environ!


Thérapie par les arts

Les arts en général, et le théâtre en particulier, avaient été reconnus par les philosophes anciens comme un moyen de guérir l'âme aussi bien que le corps. A Epidaure, des efforts considérables furent consacrés à la vie culturelle: comme à Olympie, à Delphes ou à Isthmia, des concours sportifs et musicaux y avaient lieu tous les quatre ans. Edifié aux alentours de l'an 300, le fameux théâtre devait par la suite servir de modèle à plusieurs autres en Grèce. Aujourd'hui, il faut plus d'une heure pour remplir la vaste arène qui pourtant, au final, ne sera occupée qu'aux deux tiers. Dès 7 heures du soir, le parking se couvre de voitures et de bus, pour une grande part en provenance d'Athènes, à deux heures de route environ. Plus d'une heure avant l'ouverture des portes, des files se forment déjà devant les portillons, car les places n'étant pas toutes numérotées, les premiers arrivés ont quelque chance d'être mieux servis. J'observe autour de moi: sur la terrasse du restaurant, dans les allées sous la pinède, aux pavillons où l'on vend des boissons ou des glaces, les jeunes gens sont très nombreux; mais aussi les couples élégamment vêtus, les groupes d'amis, les familles; des Grecs essentiellement -- car les spectacles se donnent évidemment en grec moderne; mais au cours de la représentation, voyant plusieurs de mes voisins qui ne rient pas avec le reste de la foule, je me plais à penser que je ne suis pas le seul touriste allophone dans l'audience, et que le plaisir de communier à la source même du drame antique attire des fidèles du monde entier!

Le spectacle commencera finalement avec un quart d'heure de retard. Le crépuscule tombe sur les collines de l'Argolide; le bruit assourdissant des cigales commence à s'estomper quelque peu. Ce soir, c'est avec Euripide que nous avons rendez-vous: la Folie d'Héraclès (ou Héraclès furieux; Sénèque proposera la traduction Hercules furens) est une des pièces les moins jouées de l'auteur. Mes notions de grec moderne étant malheureusement encore assez limitées -- et surtout, les Grecs étant réputés pour parler très vite -- je me suis soigneusement préparé; à défaut de mettre la main sur la traduction utilisée ce soir, j'ai longuement travaillé la version française de l'original d'Euripide; les détails de l'intrigue sont clairs dans ma tête. On entend d'abord au loin le bruit sourd d'un moteur diesel. Un autobus apparaît sous la pinède, derrière la scène qui n'a pas de mur de fond; lentement, le choeur entre, en pardessus, valises à la main. Silence; deux acteurs s'avancent; première surprise: ils utilisent un micro! Pas même un micro-cravate: un bête micro sur pied, devant lequel il se relaient! Tout le spectacle va-t-il se dérouler ainsi? Et qu'en est-il de l'acoustique tant vantée d'Epidaure? La soirée avance et l'on commence à comprendre un peu mieux: les gradins ne sont pas complètement pleins, mais sans doute au moins au deux tiers; cela représente peut-être 8'000 personnes, et la distance entre l'orchestre et les derniers rangs de spectateurs est de plusieurs dizaines de mètres; de manière évidente, tout le concept acoustique a été prévu pour des acteurs déclamant à pleine voix -- et à vrai dire, c'est déjà presque un miracle que plus de 10'000 personnes puissent suivre un spectacle sans sonorisation! Mais pour les passages susurrés, l'amplification est un indéniable plus: elle permet d'élargir le registre expressif des acteurs. Dès que l'action se fait plus dynamique, au diable le micro: les comédiens se font aisément comprendre; le dosage dans l'utilisation des moyens électriques est ainsi pleinement convaincant. Quant aux instruments de musique, parfois amplifiés -- par exemple pour leur ajouter une réverbération de nature à simuler un espace clos -- ils peuvent également se passer totalement du secours du micro: il y a là une trompette, un trombone, un accordéon -- et même le violon peut faire entendre distinctement le moindre de ses pizzicati; il est vrai aussi que je suis assez bien placé, au tiers inférieur des gradins environ...

 

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RMSR septembre 2011

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