No. 64/4    décembre 2011

 

Le succès du «Chalet»
d'Adolphe Adam (1834)

Par Sylvie Douche

Adolphe Adam

Adolphe Adam, gravure par Eugène-André Champollion
(in: Arthur Pougin: Adolphe Adam…, Paris, Charpentier, 1877).

 

Composé en 1834 par Adophe Adam sur un livret du fameux Eugène Scribe, «Le chalet» fut un des opéras-comiques les plus joués de tout le XIXe siècle. Basé sur une pièce de Goethe lui-même, l'ouvrage, qui met en scène de jeunes montagnards appenzellois, sombra ensuite dans un oubli total, et n'a été redécouvert que récemment. En juin 2003, François Buhler présentait dans nos colonnes une étude sur la genèse de l'oeuvre et une analyse détaillée de son livret. Sylvie Douche propose aujourd'hui de nous pencher sur un autre de ses aspects: sa réception par le public et la critique. Vaste sujet, car «Le Chalet» connut dans toute l'Europe, en un peu moins d'un siècle, plus de 1'500 représentations! (réd.)

Exact contemporain de Berlioz, Adolphe Adam (1803-1856) est le fils de Jean-Louis Adam (considéré comme l'un des fondateurs de l'école pianistique française). Rapidement repéré comme grand improvisateur, c'est assez naturellement qu'il entre au Conservatoire dans la classe de contrepoint d'Anton Reicha (comme Berlioz), puis de composition chez Boieldieu à qui il doit tant. Halévy a d'ailleurs tenté de définir cet apport dans le trajet compositionnel d'Adolphe Adam:

«Ce qui est bizarre, c'est qu'Adam dont le talent naturel et gracieux avait dévié de son droit chemin sous l'influence d'études mal commencées et mal dirigées, ne se plaisait alors qu'au milieu des modulations les plus obscures et les plus tourmentées. Boieldieu le dégagea du labyrinthe où il s'était égaré et le ramena à la mélodie qu'il avait méconnue .»

Aussi, dès que Le Chalet est achevé, Adam le joue-t-il à son Maître qui lui signifie qu'il sera présent à la première. Son affection du larynx s'aggravant, cette première du 25 septembre 1834 fut également la dernière sortie de Boieldieu qui mourut deux semaines plus tard, non sans avoir témoigné son admiration à son ancien élève en affirmant: «Je voudrais que cette musique fût de moi. Merci, ami, de cette bonne soirée ».

En 1834, Une bonne Fortune (pièce de Scribe) est mise en musique par Adam et obtient un grand succès. Derechef, Adam collabore avec Scribe -- et Mélesville qui se refusait à confier l'oeuvre à Adam -- pour l'élaboration versifiée du Chalet (opéra comique en un acte). C'est une pastorale de Goethe (Jery und Bätely, de 1779) qui inspira ce texte, par ailleurs mis en musique par une quinzaine de compositeurs entre 1790 et 1873, dont Donizetti en 1836. Adam avait déjà fourni un air pour une première version en vaudeville de ce petit drame, intitulée Pierre et Marie, donnée au théâtre du Gymnase -- où Scribe avait conclu un contrat d'exclusivité -- et qui resta sans lendemain. Ces pastorales s'inscrivent dans le sillon du Devin du village de J.-J. Rousseau. Pourtant, Adam était relativement critique à l'égard du philosophe français qu'il jugeait être une «nature contradictoire». Il n'en considère pas moins le Devin du village comme le «signal d'une révolution».

Le synopsis de l'opéra est relativement convenu: Daniel aime Bettly, mais la jeune fille se refuse à l'épouser afin de garder sa liberté. Pour lui faire une farce, les jeunes gens du village rédigent une fausse lettre à Daniel où Bettly lui avouerait finalement son consentement aux épousailles. Or, cette dernière ne sait ni lire, ni écrire et nie naturellement avoir écrit un tel billet quand Daniel lui en parle. Il est désespéré. Lorsque passe une troupe de soldats, le jeune homme décide de s'enrôler. Max est à leur tête et écoute les malheurs de l'amoureux éconduit. Il comprend que l'aimée n'est autre que sa propre soeur qu'il n'a pas revue depuis quinze ans, mais il cache son identité. Il organise un coup monté et ordonne à ses soldats de vandaliser l'habitat de Bettly. Terrorisée, elle retient Daniel au chalet pour qu'il la protège de la fougueuse énergie de Max, le sergent. En effet, il s'interpose et le duel s'avère imminent. Finalement, le chef militaire se montre magnanime et informe Daniel qu'il ne le tuera pas si celui-ci est marié. Bettly signe donc rapidement le contrat de mariage, persuadée qu'il n'est pas valable sans l'acquiescement de son frère. Celui-ci dévoile alors son identité et valide le contrat de mariage. Liesse finale.

Le schéma narratif du livret se conforme donc tout à fait aux poncifs de l'époque qui consacrent le déroulement en trois temps: exposition--noeud--dénouement, ici étendu à une structure quinaire telle qu'elle est définie par Jean-Michel Adam: situation initiale -- déclencheur 1 (la lettre) -- actions (décision de Daniel) -- déclencheur 2 (arrivée de Max) -- dénouement final.

 

La genèse de l'oeuvre

En un acte (et neuf numéros) l'opéra alterne choeurs, airs et ensembles. Un tableau récapitulatif en rend compte et précise le cheminement tonal (voir annexe, p. 52-3).

La composition du Chalet fut douloureuse mais assez rapide, puisque achevée en quinze jours. D'abord, Adam eut besoin de puiser dans ses propres oeuvres pour stimuler son inspiration. C'est ainsi qu'on peut relever deux auto-citations. D'abord, celle d'Ariane à Naxos, cantate de Rome datant de 1825 et récompensée d'un Second Prix; insertion dont il est fier: «Le public me vengea du jugement de l'Institut» se réjouit-il et il l'incorpore en introduction. Ensuite, c'est la Danse des démons de son ballet Faust qui alimentera le choeur des buveurs du Chalet . Ce projet de ballet devait comporter trois actes. Commandé par Laporte, directeur du King's Theatre de Londres, il reposait sur un livret de Deshayes. Adam est à Londres au début de 1834 et ne rentre à Paris qu'à l'été de cette même année. La partition du Chalet est habilement dédiée à la princesse Marie qui le fait représenter à Fontainebleau -- interrompant les représentations parisiennes -- et c'est après en avoir entendu deux représentations que Schonenberger, confiant dans l'avenir de l'ouvrage, se décide à l'éditer.

L'écriture d'un opéra entier en si peu de temps est un fait coutumier chez ce compositeur plein de verve. On le lui reproche, bien entendu:

«Il faut à M. Adam six jours pour écrire une partition, ouverture, airs, duos et finale. Mozart passait deux ans sur le livret de la Flûte enchantée, Beethoven revenait trois fois sur son oeuvre […] Mais qu'est-ce que Mozart? Qu'est-ce que Beethoven auprès de M. Adam, cette tête féconde, cette source intarissable de mélodie? […] M. Adam se contente de tout ce qu'il a sous la main; il écrit pour les chanteurs de l'endroit avec une confiance bien rare .»

Le compositeur se résout à ce verdict, conscient de la fatalité:

«Je n'ai guère d'autre ambition dans ma musique de théâtre, que de la faire claire, facile à comprendre et amusante pour le public […] Je ne puis faire que de la petite musique […] et j'attends que le public se lasse de moi pour cesser d'écrire .»

En 1834, le public de la Monarchie de Juillet n'est certes pas lassé des gracieuses pirouettes musicales d'Adolphe Adam. La revue de presse que nous allons présenter -- à travers les louanges plus ou moins confuses adressées à l'auteur du Chalet -- dessine les contours des attentes de ce public bourgeois en quête de succès commerciaux faciles et «d'amusements frivoles» comme le constate avec amertume Anton Reicha en 1833... Nous essaierons donc, corollairement, de cerner les raisons de ce succès éclatant...

 

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RMSR décembre 2011

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