No. 67/3    septembre 2014

 

Le concerto pour guitare

Panorama d'un genre méconnu

Par Thierry Raboud

Edouard Manet: Le joueur de guitare (1860)

Edouard Manet: Le joueur de guitare (1860). New York, Metropolitan Museum of Art.

 

La guitare est populaire au point d'être aujourd'hui l'instrument le plus répandu et le plus joué, tous styles confondus.Pourtant, durant les deux siècles passés, celui-ci a peiné à s'affirmer en centre d'intérêt légitime pour la recherche musicologique. Si le peu de profondeur historique de son répertoire ainsi que le rôle limité joué par l'instrument dans l'évolution du langage musical peuvent expliquer ce relatif désintérêt, il se pourrait surtout que l'énorme diversité stylistique et culturelle embrassée par la guitare soit à l'origine des difficultés d'intégrer cet instrument au discours traditionnel sur l'histoire de la musique savante.

Nous nous proposons donc de contribuer ici à cette intégration, par un bref survol historique du répertoire des concertos pour guitare et de ses enjeux. L'étude succincte des cadres socio-historiques dans lesquels s'ancrent d'un côté le concerto soliste comme genre, de l'autre la guitare comme instrument de concert, permettra d'appréhender l'évolution de ce répertoire méconnu. En présupposant le fait que le concerto pour guitare est un indicateur valable de la respectabilité accordée à la guitare dans le domaine de la musique savante, l'étude de son émergence puis de son développement permettra d'ouvrir quelques pistes pour mieux comprendre le rôle joué dans l'histoire de la composition musicale par un instrument tout à la fois accessible et exigeant, populaire et élitiste.

 

I. Le concerto et ses publics

Dès le milieu du XVIIIe siècle, le concerto pour soliste est préféré au concerto avec concertino et se développe sous une forme privée, réservée à un cercle restreint d'auditeurs. Il quitte l'église mais demeure présent en tant que divertissement apprécié de la cour ou de diverses sociétés domestiques cultivées. A cette évolution s'ajoute, dans le dernier tiers du siècle, l'ébauche d'un changement dans la présence du concerto au sein de la vie musicale européenne. L'émergence d'une production artistique basée sur l'individu libre de tout patronat (dont Mozart, dans ses dernières années viennoises, est l'exemple paradigmatique) amène un changement du système de financement de la musique. La concurrence force alors le compositeur -- fréquemment interprète de ses propres oeuvres -- à briller devant un public si possible important afin d'assurer sa bonne réputation, garante d'une situation financière décente. Les concertos s'ouvrent donc à des audiences plus grandes, quittant les cadres privés pour investir des salles expressément construites pour un large public.

Au début du XIXe siècle, le passage du salon aristocratique à la salle de concert se fait en parallèle du développement de l'effectif orchestral et de la lutherie. Progressivement, le concerto devient un véritable spectacle, prisé de la nouvelle classe bourgeoise, autant que la pierre de touche des nombreux compositeurs-interprètes en concurrence au sein d'un star system très développé. L'image romantique du soliste transcendé en héros face à la masse orchestrale focalise l'attention des saisons musicales dont le concerto est un des piliers. Au cours du siècle, l'engouement pour le concerto contribue à une certaine cristallisation du répertoire, à mesure que la figure du compositeur-interprète tend à se faire plus rare.

A l'orée du XXe siècle, les avant-gardes musicales se poseront en opposition à ce système de marché, se détournant de la rhétorique de masse assimilée au romantisme tardif dont le concerto est un emblème fort. Au travers de l'essor du néoclassicisme, le concerto reste néanmoins présent, bien que moins directement lié à l'aspect performatif. Cependant, la diminution de la visibilité des concertos contemporains est patente, accentuée par l'épuration de l'instrumentation liée à un retour aux effectifs plus modestes du classicisme. La multiplicité des langages de la modernité musicale implique une grande variété de cadres et de fonctions associées au concerto. Par son adaptation aux radicalismes et à la profusion des esthétiques diverses, autant que par ses instrumentations souvent plus modestes, le concerto contemporain perd l'impact qui était le sien au XIXe siècle, tout en conservant un pouvoir d'attraction fort tant sur les compositeurs que sur le public.

 

II. La guitare et ses amateurs

La popularité de la guitare, variable selon les époques, dépend directement de l'adéquation de ses caractéristiques sonores et de ses possibilités musicales aux attentes des consommateurs de musique. Dans la période allant de l'apparition de la guitare moderne à nos jours, les mutations profondes de ces habitudes de consommation, associées aux diverses modifications de la sonorité de l'instrument, créent différentes phases dans l'intérêt qu'elle suscite.

A partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, la guitare à six cordes simples prend peu à peu le relais de la guitare à cordes doublées, malgré le fort regain de popularité de celle-ci en Italie et en France. Diderot et D'Alembert soulignent en effet dans leur Encyclopédie, que «quelques amateurs l'ont fait renaître, & ont en même tems réveillé notre goût pour nos vaudevilles, pastorales & brunettes, qui en acquerrent un nouvel agrément». Cet intérêt renouvelé pour la guitare est lié à un répertoire populaire que l'instrument peut accompagner, mais semble paradoxalement dû à la faiblesse de ses possibilités sonores. De fait, le XVIIIe siècle voit se développer une vie publique aristocratique centrée sur les salons où la présence d'un instrument aussi peu puissant que la guitare peut, par des pièces de circonstance, participer à leur ambiance intimiste...

 

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