No. 69/4    décembre 2016

 

II Aloÿs Fornerod compositeur

Par Jacques Viret

Aloÿs Fornerod

 

Pour définir l'identité musicale de Fornerod, il convient de la situer dans le cadre général du vaste mouvement culturel qui s'est développé au lendemain de 1918 et qu'on peut appeler néoclassicisme en un sens très général. Aux yeux des historiens la guerre de 1914-1918 marque la fin réelle du XIXe siècle, et cela se vérifie aussi sur le plan culturel: si le XIXe siècle fut celui du romantisme, le XXe est, du moins dans la période de l'entre-deux guerres, celui d'un retour aux valeurs classiques comme réaction antiromantique. En France, l'antagonisme franco-allemand restait alors vivace, et le romantisme était assimilé à l'Allemagne, non sans raison. Faire retour au classicisme signifiait donc pour les Français se démarquer de l'influence allemande, en particulier (s'agissant de la musique) celle de Wagner, le romantique allemand par excellence -- déjà honni par Debussy qui l'avait pourtant admiré dans sa jeunesse -- et à exalter le génie français tel qu'il s'est manifesté aux XVIIe et XVIIIe siècles. La grandiloquence affectionnée par Wagner, la charge expressive et émotionnelle qu'il insuffle à sa musique -- en rapport avec le drame qu'elle double --, l'opulence de son orchestration sont en effet aux antipodes de l'idéal esthétique recherché par les Français des années 1920. Cependant le mouvement néoclassique n'est pas spécifiquement musical: il est intellectuel avec Henri Massis et Julien Benda, littéraire avec André Gide et l'équipe de la Nouvelle Revue Française (NRF), théologique et philosophique avec Jacques Maritain, politique avec Charles Maurras. Tous ces auteurs, et d'autres encore, constituent une nébuleuse multiforme, unie par le souci commun de rejeter l'héritage de ce que Léon Daudet a appelé «le stupide dix-neuvième siècle».

Le néoclassicisme musical est incarné en France par Igor Stravinski, alors résidant à Paris, qui a changé radicalement sa manière depuis le «sauvage» Sacre du Printemps de 1913. En 1920 Ernest Ansermet dirige la création, avec les Ballets Russes de Diaghilev, de Pulcinella, oeuvre phare du néoclassicisme puisqu'il s'agit de transcriptions libres de pièces du compositeur italien baroque Pergolèse. Un écrit de Stravinski, la Poétique musicale, paru en 1952, défend une conception artisanale de la création artistique semblable à celle qu'a exposée en 1920 Maritain, selon la ligne de saint Thomas d'Aquin, dans son célèbre opuscule Art et Scolastique. Chez les Français le courant néoclassique est illustré par les oeuvres tardives de Maurice Ravel et Albert Roussel, ainsi que par les jeunes compositeurs de la même génération que Fornerod qui constituent un peu artificiellement le Groupe des Six -- hormis Arthur Honegger se qualifiant lui-même de néoromantique. Les plus en vue sont Honegger, Darius Milhaud et Francis Poulenc. Ils ont un mentor en la personne de l'écrivain Jean Cocteau, du même âge qu'eux et qui ralliera bientôt le cercle de Maritain. Cocteau publie en 1918 un recueil d'aphorismes, Le Coq et l'Arlequin, considéré comme le manifeste du groupe. Y sont prônés, pour tourner la page du romantisme wagnérien et de l'impressionnisme debussyste, la simplicité d'Erik Satie et la musique légère, music hall, jazz. Au-delà de l'effet de mode lié à l'atmosphère superficielle des «années folles» il y a dans cet écrit l'affirmation d'une volonté de décantation, économie des moyens, objectivité, clarté qui sont bien les caractères du classicisme pérenne. Fornerod, quoique n'adhérant pas au culte de Satie et de la musique légère, partage cet idéal esthétique. Il aurait pu être l'un des Six...

 

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RMSR décembre 2016

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