No. 70/2    juin 2017

 

La Passion selon Marc de Michaël Levinas

Par Myriam Tétaz-Gramegna

 

D'une bouleversante intensité dramatique, la ‘Passion selon Marc, une Passion après Auschwitz', de Michaël Levinas, interroge le silence de Dieu et des hommes, et chante au-delà de l'irréparable.
 

La création de la Passion selon Marc a été non seulement l'événement musical de la saison en Suisse romande, mais aussi le lieu d'une réflexion théologique, éthique et philosophique. En effet, demander à un compositeur juif d'écrire une passion en la plaçant de façon délibérée dans la tradition religieuse du Juif qu'était Jésus, c'est affronter le différend hors conciliation possible entre judaïsme et christianisme, la tragique déchirure de 2000 ans de persécutions, l'énigme du silence de Dieu et des hommes à la Croix et à la Shoah, ainsi que l'inéluctable interpellation que sont le scandale et l'absurde de la souffrance et de la mort.

Michaël Levinas ne l'a pas caché: si l'oeuvre s'inscrivait dans le cadre des 500 ans de la Réforme, elle ne pouvait honorer la Réforme, car un compositeur juif ne peut accepter les écrits violemment antisémites de Luther -- que cette commémoration eut l'honnêteté de ne pas cacher. «J'ai placé cette oeuvre dans une perspective qui est celle de l'irréparable, une Passion sans annonce prophétique, sans salut». Il n'y a pas d'équivalence entre la Croix et la Shoah, sinon le silence de Dieu et des hommes. Les récits des Evangiles sont porteurs d'espoir: au Golgotha, Jésus meurt en vue de la rédemption, du salut, de la résurrection. Le drame de la Shoah, c'est la désespérance totale: les Juifs meurent sans «deuxième ciel» (Paul Celan), à cause de leur fidélité au dieu qui, à travers la loi, a fait alliance avec eux.

 

Michaël Levinas

Michaël Levinas a accepté cette commande parce qu'elle le confrontait à sa propre histoire, et il a repris la dédicace d'un livre de son père, le philosophe Emmanuel Levinas: «à la mémoire des êtres les plus proches parmi les six millions d'assassinés par les nationaux-socialistes, à côté des millions et des millions d'humains de toutes confessions et de toutes nations, victimes de la même haine de l'autre homme, du même antisémitisme». Cette création, on pouvait le sentir, touchait à son intimité. A celle de l'auditeur aussi; juif ou chrétien, agnostique ou croyant, il ne sortait pas indemne de cette confrontation avec la mort, quel que soit le sens ou le non-sens qu'il lui donne. La musique réussit à dépasser l'impossible unité théologique et l'impardonnable «rupture de civilisation» (Enzo Traverso) que fut l'Holocauste. Elle ne les gomme pas, mais réalise une unité musicale qui puise dans la cantillation judaïque et la psalmodie des deux traditions religieuses, combine l'héritage de la musique synagogale et de l'écriture polyphonique de la Renaissance...

 

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RMSR juin 2017

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