No. 60/4    décembre 2007

 


Trois entretiens inédits de Darius Milhaud
avec Stéphane Audel (1956)

(deuxième partie)

Transcrits, présentés et annotés par Malou Haine, chercheur associé à l'IRPMF, professeur à l'Université Libre de Bruxelles, conservateur du Musée des Instruments de Musique de Bruxelles

 


Troisième entretien

Audel: Après avoir évoqué vos débuts dans la vie musicale, vos études à Paris et votre séjour à Rio de Janeiro pendant la guerre de 1914, nous arrivons aujourd'hui, cher Darius Milhaud, à la période d'entre les deux guerres. Elle fut pour vous d'une fécondité prodigieuse: vous avez abordé avec succès tous les genres. L'opéra avec Christophe Colomb, Maximilien et Bolivar, la musique de concert avec vos symphonies, votre Concerto pour batterie et orchestre, la musique de chambre avec vos quatuors. La radio a diffusé à peu près toutes vos oeuvres, plus Les Malheurs d'Orphée et votre Médée. Vous avez écrit la Cantate de la paix, la cantate Les Deux Cités, celle de L'Enfant et de la mère, la Suite provençale, le Concertino de printemps, la petite Suite pour piano, violon et clarinette, votre Scaramouche pour deux pianos, d'innombrables mélodies et j'en oublie sans doute. Or, il se trouve que cette production considérable ne vous a pas empêché de voyager énormément et c'est là une phase de votre activité qui n'est pas négligeable -- car il me semble que les voyages ont pour vous plus que de l'attrait, mais encore une sorte de pouvoir fécondant: suis-je dans l'erreur?

Milhaud: Non, c'est exact. J'ai besoin de mouvement, le voyage est pour moi une espèce d'aliment pour l'esprit. Peut-être est-ce que cela tient à ce que, à cause de mon état de santé, je mène une vie assez sédentaire; mais dès que je suis dans un train, dans un bateau et même dans un avion, je commence à voir différemment, à être intéressé par mille choses, je sens que tout se met en mouvement et que tout cela est très favorable au travail.

Audel: Et vous avez énormément voyagé bien entendu; je ne vous parle pas des Etats-Unis, puisque vous y alliez régulièrement, mais je voudrais que vous nous disiez quelques mots d'un pays qui m'est cher et que vous connaissez aussi, c'est-à-dire le Mexique.

Milhaud: Oui, le Mexique cher ami -- eh bien j'adore le Mexique! Je n'y suis malheureusement allé qu'une seule fois, en 1946, et j'ai un grand désir d'y retourner. Je vous dirai qu'en plus de cela, de ce désir, je me sens toujours un peu chez moi dans les pays latins -- et je suis allé au Mexique après avoir passé six ans dans un pays anglo-saxon! Et alors, je dois dire que le choc de cette latinité qui vous saute à la gorge dès la douane est une impression inoubliable. Je suis allé là-bas pour diriger un concert, et comme c'était au mois de juin -- et par conséquent une période de vacances pour le collège dans lequel j'enseignais -- j'en ai profité pour passer un mois au Mexique; et comme dans les contes de fée, nous avons trouvé là un industriel, Monsieur Prieto -- qui est un grand ami de la musique, marié à une Française -- qui a mis à notre disposition une voiture et un chauffeur, pendant quinze jours!

Audel: C'est très mexicain, ça!

Milhaud: Ce qui nous a permis d'aller voir un tas de choses, de nous promener -- et avec quelqu'un justement comme ce chauffeur, qui parlait espagnol et qui savait admirablement par où il fallait passer. Et je dois dire que ça a été alors merveilleux pour voir le plus de choses possible! Quant au point de vue musical, alors -- en ce qui nous concerne plus particulièrement, j'ai eu une très grande admiration pour un pays dont l'orchestre symphonique avait inscrit, pendant ce mois de juin 1946, un festival Hindemith dirigé par Hindemith, un festival Stravinsky dirigé par Stravinsky et un festival de mes oeuvres dirigé par moi. Eh bien, je crois qu'on ne trouverait pas beaucoup, dans le monde, de simples associations symphoniques qui pourraient, sans se risquer les foudres de bien des gens, offrir trois grands concerts dirigés par des compositeurs vivants!

Audel: Cela ne fait pas l'ombre d'un doute! Mais à ce point de vue-là, moi, pendant la guerre, lorsque j'étais au Mexique, l'Orchestre Symphonique du Mexique donnait des choses des plus avancées et des plus audacieuses, et il était très suivi -- c'est vraiment un pays épatant.

Milhaud: Et on y travaille très bien, songez qu'on m'a donné sept répétitions!

Audel: Ah! C'est exceptionnel.

Milhaud: Oui, j'étais un peu épouvanté, car cela commençait à sept heures du matin!

Audel: Ah oui, ça commence très tôt...

Milhaud: Seulement, c'est une affaire d'habitude.

Audel: Bien sûr -- mais je voudrais également, cher Darius Milhaud, que vous nous parliez d'un autre voyage, évidemment pas dans le même continent, mais un voyage que vous fîtes à Vienne, en compagnie, si je me rappelle bien, de Francis Poulenc. C'était en 1921 n'est-ce pas?

Milhaud: Oui, eh bien vous savez que nous nous sommes beaucoup intéressés toujours à l'oeuvre des grands compositeurs viennois, c'est-à-dire Schoenberg, Berg et Webern...

 

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