No. 65/1    mars 2012

 

La «Passions-Cantate» de Theodor Fröhlich (1803-1836)

par Didier Godel

Theodor Froehlich

Wikimedia.org

 

Qui était Theodor Fröhlich?

Depuis l'étude approfondie que lui a consacrée Pierre Sarbach, on connaît assez bien celui que l'on peut nommer, à juste titre, le premier compositeur romantique suisse. Né à Brugg le 20 février 1803, Theodor Fröhlich connaît une première formation musicale auprès de Nägeli à Zurich. Ses parents le destinent à des études de droit; il fait un premier séjour à Bâle, puis à Berlin; le contact avec la vie musicale intense de cette métropole l'incite à se diriger définitivement vers la musique. De retour en Argovie, il obtient une bourse pour une formation musicale dans une ville de son choix: il opte pour Berlin, sans hésiter. Il y suit l'enseignement de Carl Friedrich Zelter (et fait du même coup la connaissance de Mendelssohn) et de Bernhard Klein pour la composition (notons que les deux enseignants ne professaient pas les mêmes orientations stylistiques), et de Gerhard Berger pour le piano. Mais Fröhlich ne semble pas avoir été un élève très assidu: il ne poussa pas très avant sa formation, ne témoignant à ses maîtres qu'un intérêt distant, abandonnant leur enseignement après à peine deux ans. Il ne pouvait plus attendre de vivre sa propre vie de créateur, à moitié académique et à moitié autodidacte, dans un contexte où l'écoute des riches programmes de concerts et d'opéra lui apportait des éléments fondamentaux pour la constitution de son esthétique personnelle. Les possibilités de composer, d'être joué et parfois même édité le confortaient assurément dans son choix professionnel.

Il y a quelque chose d'impatient, de spontané, d'impulsif dans la relation du compositeur avec la musique, ce qui l'enjoint à dépasser les exigences d'un métier patiemment appris et assimilé pour se lancer à corps perdu dans la création. L'ampleur de son catalogue en témoigne: une douzaine d'oeuvres religieuses pour soli, choeur et orchestre, autant pour choeur et piano, une vingtaine de choeurs profanes avec accompagnement, deux cents choeurs a capella, cinquante pour les choeurs d'enfants, vingt duos vocaux avec piano, quinze trios, trois cents lieder pour voix et piano, une symphonie et cinq ouvertures pour orchestre, huit sonates pour violon et piano, cinq quatuors à cordes, des pages pour piano et pour différentes formations de musique de chambre!

Fröhlich est rentré au pays plein de projets, mais d'illusions aussi. Son activité créatrice est considérable, mais elle ne suffit pas à le faire vivre dans une modeste bourgade helvétique; malgré son poste officiel d'enseignant, il doit s'impliquer pour trouver des commandes, donner des leçons de musique. Sa nature ne le porte pas à l'enseignement, mais à la composition. Il peine à faire jouer ses oeuvres, à les faire éditer, il a l'impression d'être incompris. Mauvais gestionnaire, il s'endette de surcroît. Mais il connaît un intense moment de bonheur lorsqu'il épouse, le 6 octobre 1832, Ida von Klitzing, qu'il avait connue en mai 1828, lors de son séjour berlinois. De leur union naîtra une petite fille.

Le 16 octobre 1836 au matin, Theodor quitte son domicile; on ne le reverra plus. Six jours plus tard, quelqu'un trouve son chapeau au bord de l'Aar. On retrouve son corps trois jours plus tard. Son frère Abraham Emanuel écrit en juin 1837 dans l'Allgemeine Musikalische Zeitung un hommage qui sert de base à sa biographie.

Cette vie mouvementée, digne de servir d'argument pour un opéra vériste ou un roman de Zola, avec au centre l'archétype de l'artiste incompris et rejeté, tourmenté et dépressif, ne doit pas inciter à une indulgence larmoyante vis-à-vis de son oeuvre. Pierre Sarbach l'avait bien compris et ne s'est pas privé de critiquer toutes les faiblesses qu'il relève au fil des pages qu'il a recensées. Toutefois, il ne s'attarde guère sur la Passions-Cantate, qu'il n'aura lue que superficiellement; l'analyse approfondie reste à faire.

Une première audition

Comme cette partition est régulièrement citée dans les dictionnaires, j'en ai demandé une copie à la Bibliothèque de l'Université de Bâle, qui abrite tout le fonds Fröhlich. L'occasion de programmer cette oeuvre en concert s'étant récemment présentée, la bibliothèque en a autorisé l'édition. C'est ainsi que la Société de Chant Sacré de Genève et l'Orchestre de Chambre de Genève, escortés de six solistes, l'ont exécutée le 30 mars 2010 à la cathédrale Saint-Pierre de Genève.

On peut même dire qu'il s'agissait d'une première audition. En effet, le manuscrit autographe de la partition pour chant et piano certifie que cette oeuvre a été donnée pour la première fois à l'église d'Aarau, le soir du Vendredi saint 1er avril 1831. La partition d'orchestre n'est datée, elle, que du 8 juin 1831. Il apparaît donc clairement que le concert du Vendredi saint, qui comportait d'autres oeuvres en première partie, et la Passions-Cantate en seconde partie, a été donné avec un accompagnement de piano; un accompagnement à l'orgue paraît peu probable, étant donné l'écriture de la partie de piano (tessiture, nuances, etc.). A la place de l'ouverture pour orchestre figurait un prélude pour orgue. Par la suite, Fröhlich rencontra Franz Xaver Schnyder von Wartensee, qui se proposait de monter cette page à Mannheim, où il résidait; ce projet ne se réalisa pas, et la version pour orchestre n'a semble-t-il jamais connu d'exécution jusqu'à cette récente échéance.

Des modèles illustres

Lors de son séjour berlinois, Fröhlich avait eu en 1829 l'occasion d'entendre la Passion selon saint Matthieu de Bach, reprise par Mendelssohn pour la première fois après la mort de Bach. Sans doute, en tant qu'élève de Zelter, s'était-il intéressé de près à cet événement. D'autre part, il avait pu entendre à Berlin d'autres musiques relatives au temps de la Passion, comme par exemple Der Tod Jesu de Graun. On peut imaginer que de telles partitions ont stimulé son souhait d'écrire une page personnelle sur ce sujet, car il ne relève certainement pas des traditions liturgiques de la paroisse d'Aarau.

Son propre frère, Abraham Emmanuel Fröhlich, était pasteur, théologien et poète. On peut imaginer que les deux frères n'ont pas eu trop de problèmes pour se mettre d'accord sur un livret susceptible de permettre une mise en musique harmonieuse et équilibrée. Le texte du Nouveau Testament est bien sûr le fil conducteur, mais il ne relève pas d'un Evangile précis: l'auteur fait une compilation à partir des quatre Evangiles. Le récit commence avec la montée au Golgotha: tous les précédents épisodes de l'arrestation et du jugement du Christ sont omis; et si l'accent est mis sur les paroles prononcées par le Christ, il ne s'agit pas des seules «Sept paroles en croix», puisque le livret commence avant la crucifixion et comporte d'autres citations. A l'autre extrémité du livret, un choral conclusif annonce le matin de Pâques, ouvrant une perspective sur la lumière de la résurrection. Les frères Fröhlich, s'inspirant de Bach, réalisent à la fois la concentration de l'action et le débordement de la conclusion...

 

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RMSR mars 2012

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