Editorial
Un milliard d'auditeurs
On ne le relève certainement pas assez: l'audience des hymnes nationaux a connu au cours des dernières décennies un développement proprement ahurissant: si, il y a cinquante ans, une affluence de dix mille personnes pouvait être considérée comme exceptionnelle pour un discours du Premier août ou une fête fédérale de lutte, aujourd'hui, ce sont des millions de foyers qui, lors des grandes manifestations sportives planétaires, sont instantanément touchés; certains matches de la Coupe du monde de football friseraient même, dit-on, le milliard de téléspectateurs! Faut-il donc attendre que l'équipe suisse se retrouve en finale (cela nous laisserait sans doute du temps...) pour réfléchir à ce que nous pourrions faire pour soigner cette carte de visite -- ces trente secondes de musique qui, précédant de peu l'ouverture des hostilités, concentrent l'adrénaline d'un dixième de l'humanité peut-être?
Les musicologues n'ont jusqu'ici pas porté beaucoup d'intérêt à la question des hymnes patriotiques, considérés (avec quelques rares exceptions) comme appartenant au domaine des musiques populaires, trop humbles pour retenir l'attention de personnes s'identifiant plutôt au monde de la littérature, de la philosophie, de la science. A tort pensons-nous: car ces mélodies, certes simples la plupart du temps, pourront révéler beaucoup de l'esprit des nations. Musique et politique -- Platon aurait certainement aimé cela -- s'y trouvent mêlés, parfois de manière totalement inextricable; et si le sujet est potentiellement explosif, il est aussi passionnant.
Les pages qui suivent se veulent donc une brèche ouverte dans un mur d'indifférence: loin des subtilités de Poulenc ou de Ligeti, un répertoire vivant continue à se former sous nos yeux. Sans doute n'y a-t-il pas beaucoup d'occasions, pour un musicien, de sentir que sa science peut être utile à des millions de compatriotes. D'un autre côté, une chance exceptionnelle est donnée à notre pays de briller par autre chose que son ci-devant secret bancaire ou ses invisibles minarets. Hop Suisse!
Vincent Arlettaz
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