No. 68/4    décembre 2015

 

Les relations sociales des Rameau

à la lumière des archives judiciaires de la ville de Dijon

Par Erik Kocevar

Jean-Philippe Rameau

Jean-Jacques Caffiéri (1725-1792): Buste de Jean-Philippe Rameau (1683-1764), 1760. Une des rares représentations authentiques du compositeur, ce buste a servi de modèle pour plusieurs portraits peints célèbres, dont certains sont posthumes. Dijon, Musée des Beaux-Arts.

 

Les Rameau, père, fils et filles eurent des rapports assez particuliers avec quelques-uns de leurs concitoyens. Le dépouillement des archives judiciaires de la ville de Dijon révèle diverses affaires assez sordides d'injures et de brutalités impliquant Jean Rameau, le père, qui n'était pas homme à se laisser marcher sur les pieds, ainsi que ses enfants, Jean-Philippe, Claude et deux de leurs soeurs. Pourtant, Jean Rameau et sa famille semblaient bien insérés socialement dans la capitale du duché de Bourgogne, participant activement à la vie musicale locale et entretenant des relations avec des membres de la haute bourgeoisie dijonnaise, ainsi que le prouvent les qualités des parrains et marraines des enfants Rameau.

 

Lorsque, le 6 avril 1671, Jean Rameau épousa Claude Demartinecourt, fille d'un notaire de Gemeaux, celui qui était alors organiste de la collégiale Saint-Etienne depuis dix ans accéda à une classe sociale, la bourgeoisie, qui n'était pas celle de ses origines. Jean Rameau était né le 6 avril 1638 du mariage d'Antoine Rameau, marguillier de la paroisse Saint-Médard, et de Pierrette Chenevet son épouse. Antoine Rameau, fils d'un laboureur de la Chaleur, avait été recueilli à l'âge de sept ans, après la mort de ses parents, par son oncle paternel, Hugues Rameau, vigneron et maître carreleur au faubourg Saint-Nicolas de Dijon. C'est donc tout naturellement qu'Antoine Rameau était devenu lui-même carreleur, l'un des plus bas métiers de l'époque: le métier de carreleur consistait à carreler, c'est-à-dire à munir de semelles, à ressemeler, à raccommoder les souliers. En juillet 1635, soit quatre ans après son mariage, Antoine Rameau avait obtenu le poste de marguillier de la paroisse Saint-Médard. En ce temps, dans les églises dijonnaises, le marguillier était l'homme à tout faire, chargé à la fois d'assurer la garde de l'église et de veiller à la propreté des lieux, au maintien de l'ordre et au bon déroulement des offices, de sonner les cloches pour certaines fondations, etc. Ce poste assurait un revenu régulier à son détenteur, ainsi qu'un logis, cour Saint-Vincent, dans le cloître de l'église Saint-Etienne, ce qui n'était pas à négliger en cette période très troublée de l'Histoire de France. Il y avait aussi des revenus ponctuels liés à toutes sortes d'activités comme porter les bannières lors de certaines processions, assurer la quête lors de la messe dominicale, récupérer l'argent auprès des familles après les enterrements, entre autres choses. Ces tâches apparaissent liées au nom d'Antoine Rameau tout au long des registres de la paroisse Saint-Médard jusqu'en 1667, c'est-à-dire jusqu'à sa mort. Tout en occupant ce poste, Antoine Rameau avait continué son activité de carreleur. L'inventaire dressé après sa mort nous révèle des meubles estimés à 345 livres, deux rentes et un petit domaine à Ternant se montant pour leur part à 481 livres, soit un total de 826 livres, ce qui était assez modeste, mais beaucoup par rapport à l'héritage de ses parents en 1611, soit 5 livres!

A la mort de son père, Jean Rameau avait récupéré un temps le poste de marguillier de Saint-Médard avant de le faire attribuer par la fabrique à l'un de ses frères cadets, le 3 juin 1668. Jean Rameau avait passé toute sa jeunesse dans ces lieux et c'est sans doute en accompagnant son père dans ses tâches quotidiennes en la collégiale Saint-Etienne qu'il avait découvert l'orgue. Peut-être avait-il manifesté un grand intérêt pour la musique, ce qui avait poussé son père à le confier, sans doute, à l'organiste de cette église, Mathieu Loiseau. L'un des demi-frères de Jean Rameau, Louis, avait eu pour parrain Louis Brunet, chapelain et sous-chantre de la collégiale. Quoi qu'il en soit, il est certain que la collégiale Saint-Etienne et ses musiciens n'avaient pas été étrangers à l'orientation professionnelle future de Jean Rameau qui avait débuté dans les fonctions d'organiste de la paroisse Saint-Médard et de la collégiale Saint-Etienne à partir du 1er mai 1660. Il est à noter que Jean Rameau avait aussi reçu une éducation générale puisqu'il avait appris à lire et à écrire, ce qui n'était pas du tout évident pour le fils d'un savetier.

Mais revenons au 5 avril 1671 lorsque Jean Rameau signa son contrat de mariage: l'organiste apportait dans la future communauté 200 livres provenant de l'héritage de ses parents et 1800 livres en argent, rentes, meubles et effets à son usage personnel, le tout provenant de ses gains et épargnes. Claude Demartinecourt amenait en dot 500 livres en argent, meubles et effets personnels, ainsi qu'une maison sise à Gemeaux, avec quelques parcelles de vignes et de terres, le tout d'une valeur d'environ 3000 livres. Les époux Rameau allaient donc démarrer leur nouvelle vie avec un capital d'environ 5500 livres, ce qui, à Dijon, était déjà une belle somme, à comparer aux 90 livres d'émoluments annuels perçus par l'organiste de Saint-Etienne (50 livres) et Saint-Médard (40 livres). De ce mariage, douze enfants naquirent, dont Marguerite, en 1673, Marie-Claude, en 1681, Jean-Philippe, en 1683, Philippe Eugène, en 1685, et enfin Claude Bernard, en 1689. Pour nourrir et entretenir toute cette progéniture, Jean Rameau cumula les postes d'organiste: octobre 1672, poste de l'abbaye Saint-Bénigne, et septembre 1682, poste de la paroisse Saint-Pierre, ce qui lui assurait environ 200 livres de revenus annuels fixes, sans compter le casuel, impossible à chiffrer. En juillet 1690, il ajouta à cette liste le poste d'organiste de Notre-Dame, la paroisse la plus riche de Dijon, qui devait lui assurer 100 livres de revenus annuels. Cette bonne fortune le poussa du reste à démissionner à la même époque de son poste à la collégiale Saint-Etienne, peu rémunéré et très prenant. L'année suivante, il ne renouvellera pas non plus sa convention avec la paroisse Saint-Pierre. A une date inconnue, Jean Rameau sera aussi nommé au poste d'organiste de la paroisse Saint-Nicolas, où son père avait passé une partie de sa vie. Comme tous les organistes, Jean Rameau dispensa des leçons de clavecin dans la bonne société dijonnaise, ainsi qu'en témoignent les noms et qualités des parrains et marraines qui portèrent ses enfants sur les fonts baptismaux...

 

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RMSR décembre 2015

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