A la recherche du pianiste Chopin Le cas de la Berceuse op. 57 Par Michel Pavillard Ary Scheffer (1795-1858): Portrait de Frédéric Chopin
Le pianiste Frédéric Chopin a fortement impressionné tous ceux qui l'ont entendu. De nombreux témoignages font état d'un jeu inouï, qui surprenait autant qu'il fascinait les contemporains qui eurent la chance de l'écouter dans les salons parisiens où il aimait se produire, de préférence en fin de soirée, entouré d'amis et loin de la foule. Nous possédons diverses descriptions des détails de son jeu, tant par ses élèves que par des auditeurs. Cette littérature est passionnante, mais a une fâcheuse tendance à frustrer le lecteur qui ne peut apprécier auditivement ce jeu si particulier. Heureusement, Chopin fut aussi un pédagogue très actif, et laissa un grand nombre d'élèves à qui il s'efforça de transmettre son art. Parmi ceux-ci, certains enseignèrent à leur tour à la génération suivante ce qu'ils avaient appris. Et c'est cette génération qui inaugura les techniques de prise de son qui se développèrent au début du XXe siècle, et dont nous possédons encore plusieurs enregistrements. La descendance de Chopin en tant qu'interprète passe par quatre de ses principaux élèves: Carl Mikuli (1819-1897), Vera de Kologrivoff Rubio (1816-1880), Emile Descombes (1829-1912) et Georges Mathias (1826-1910). Ils furent tous les professeurs de grands pianistes du XXe siècle: Carl Mikuli eut parmi ses élèves Moritz Rosenthal, Raoul Koczalski et Aleksander Michalowski. Vera Kologrivoff Rubio enseigna à Vladimir de Pachmann; Emile Descombes à Alfred Cortot; et Georges Mathias transmit son art à Raoul Pugno. Grâce à cette filiation, et au développement de l'enregistrement au début du siècle dernier, pourrions-nous entrevoir ce qui fut le style si extraordinaire de la technique de piano de Chopin? Il nous faut pour cela un étalon, c'est-à-dire une pièce commune ayant été enregistrée par quelques-uns de ces élèves d'élèves, et un groupe témoin, constitué par des pianistes venant d'autres horizons, mais de la même période. La Berceuse op. 57 fut une pièce souvent enregistrée avant les années 1930, c'est-à-dire avant que l'on ne prenne l'habitude de consacrer lescycles complets que constituent les Etudes, les Préludes, les Polonaises ou les Valses. Jusque-là, et déjà du temps de Chopin, il était en effet plus courant de former des programmes constitués d'un choix de pièces variées. Il est évident que cette expérience de comparaison comporte des limites. Outre les variations techniques des prises de son (nous y reviendrons), le développement de la facture du piano au XIXe siècle va considérablement modifier la manière de jouer, et tous les interprètes étudiés utilisent les pianos en usage à leur époque. Comme le souligne Ernest Schelling, compositeur et pianiste américain qui travailla avec Georges Mathias:
Ne négligeons pas non plus les individualités de chaque musicien: malgré les enseignements dont ils ont pu bénéficier, il faut tenir compte de leur désir de s'approprier l'oeuvre qu'ils interprètent. Par ailleurs, tout bon pianiste cherche à se documenter sur la pièce qu'il va donner, et sur le style que celle-ci requiert, qu'il ait ou non étudié avec le compositeur ou son dépositaire. Ainsi, nous ne pouvons pas d'emblée considérer que les pianistes qui n'ont pas étudié avec un élève de Chopin n'aient jamais été en contact avec le style du compositeur...
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(page mise à jour le 28 décembre 2018)